Grand-père
souffrances
alors que moi, j’ai perdu Pablito…
Je n’ai pas envie de répondre. Aucun compte à rendre, aucun
compte à régler, je n’ai qu’une seule idée : sortir de cette histoire et, surtout,
échapper à cette famille unie par des intérêts d’outre-tombe.
M e Pierre Zecri, le notaire chargé de la
succession, me reçoit comme tous les notaires reçoivent les ayants droit.
— Marina Picasso, fille de Paul Picasso et d’Émilienne
Lotte divorcée de ce dernier, de par les statuts définis dans une succession ab
intestat …
Je ne l’écoute pas. J’ai d’autres soucis en tête. En entrant
chez lui, j’ai cassé le talon de l’un de mes sabots et je n’ai pas d’autres
chaussures à me mettre.
Je suis absente. Tout ce blabla juridique ne me concerne pas.
Une chose cependant, avec les sous que contient l’enveloppe
que m’a léguée mon père et le chèque que me remet M e Zecri à titre d’avance,
je vais pouvoir rembourser Marie-Thérèse Wal-ter, payer les dernières traites
de ma Coccinelle et peut-être…
Rien. Je n’ai envie de rien.
Retour à Golfe-Juan. Mon premier geste en arrivant est d’aller
déposer ce premier capital à la banque sur le compte de ma mère.
Au rouge. Évidemment.
Ma mère. Elle qui a toujours fantasmé sur la fortune de
Picasso, curieusement, ne veut pas profiter de l’argent qu’elle pourrait
utiliser à sa guise. Au contraire, elle continue à économiser. Ses délires ont
changé de diapason. Ce n’est plus la puissance de grand-père qui la hante mais
sa puissance à elle.
— Heureusement que je suis là pour administrer le
capital de ma fille. Heureusement, elle m’écoute. Elle se repose sur moi.
L’épicier, le boulanger, le boucher, le droguiste et toute
leur clientèle sont pleins d’admiration.
C’est ce qui compte pour elle.
14
Quand on a passé son enfance et son adolescence à quémander
beaucoup d’amour et un peu d’attention, quand on n’a jamais eu le moindre sou
en poche, quand on a souffert de porter un nom comme on porte une croix, quand
on n’a rien et qu’on a tout perdu, hériter est une condamnation.
Je sais ce que certains vont dire :
— Son grand-père est célèbre, il lui laisse une fortune,
elle a beaucoup d’argent… Mais de quoi se plaint-elle ?
Je ne me plains pas. Je ne fais qu’entrouvrir ma mémoire et
raconter les faits tels que je les ai vécus.
La première fois où j’ai été conviée à la table de
succession, je ne comprenais pas ce que l’on attendait de moi. Je n’avais qu’une
envie : m’évader du clan des Picasso.
Pour le faire au plus vite, j’ai renoncé à la part que ma
grand-mère Olga avait laissée à mon père, renoncé à celle de Pablito qui
normalement devait me revenir et revenir de moitié à mon demi-frère Bernard. Pour
dire la vérité, je ne voulais pas d’histoires. J’étais bien trop meurtrie.
Pour être plus libre encore, me restait à racheter les
droits d’usufruit de Christine, la deuxième femme de mon père, soit le quart de
ma part. Alors que ma mère n’avait pas droit à une petite cuillère, je devais
me plier à cette démarche pénible. Très gentiment – et parce qu’elle
savait ce que Pablito et moi avions enduré – Christine accepta tout de
suite.
J’étais affranchie du joug des Picasso.
L’évaluation des milliers d’œuvres que mon grand-père avait
laissées avait été confiée à l’expert d’art Maurice Rheims. Une fois ces œuvres
estimées, Jean Leymarie et Dominique Bozo – les directeurs du musée
Picasso – sélectionnèrent tableaux, dessins, gravures et céramiques que l’État,
en priorité, se réservait pour le règlement des droits de succession. Enfin, une
multitude d’avocats se chargèrent de diviser ces milliers d’œuvres en autant de
lots qu’il y avait d’héritiers. Après avoir réglé ces avocats – honoraires
qui s’élevaient à une part de la succession – Jacqueline, Maya, Paloma, Claude,
Bernard et moi pûmes finalement toucher l’héritage après avoir, bien sûr, réglé
nos propres droits de succession, ce qui pour moi équivalait à la moitié des
biens que me laissait grand-père.
Je n’avais pas voulu participer à l’hallali de cette
succession. Je le répète, cela ne m’intéressait pas et, lorsque le directeur de
la B.N.P. à Paris me proposa d’ouvrir les portes du coffre qui enfermait le lot
Picasso qui m’était réservé, je
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