Hasdrubal, les bûchers de Mégara
dans sa demeure. Je fus heureux de la retrouver. Je l’aimais toujours
et rien ne m’aurait été plus insupportable que d’être privé de sa présence.
Elle n’avait rien perdu de sa beauté et de sa sensualité et je sortais, épuisé
et comblé, de nos étreintes passionnées. Sa faculté d’adaptation me fascinait.
Ayant retrouvé la Rome où elle avait passé son enfance, elle avait renoué avec
ses anciennes amies et était reçue dans les meilleures familles patriciennes
qui ne lui tenaient pas rigueur de sa trahison.
Je dois
l’avouer, l’insouciance dont elle faisait montre éveilla en moi des soupçons
qui, aujourd’hui encore, me torturent. Quand je repense aux circonstances de
notre rencontre et de notre fuite précipitée, je suis bien incapable de savoir
si elle me suivit parce qu’elle était tombée folle amoureuse de moi ou parce
que Gulussa lui avait ordonné de me séduire et de vivre à mes côtés afin d’être
informé par elle de mes faits et gestes. À moins qu’elle n’ait obéi aux
consignes que lui donna Scipion Aemilianus dans la famille duquel elle avait
grandi et qu’elle considérait comme un frère. La manière dont celui-ci était
parfois au courant de mes décisions aurait dû ne point me faire écarter cette
hypothèse mais il suffisait qu’elle partage ma couche et me dispense des
plaisirs raffinés pour que ma méfiance s’estompe d’un coup.
M’a-t-elle
trahi ? Je préfère ne pas me poser la question car cela m’obligerait à la
chasser et je ne puis vivre seul en exil. Toutefois, je dois le reconnaître, je
l’ai tenue dans l’ignorance du but exact de mes entretiens avec Magon. Chaque
matin, lorsque nous nous mettons au travail, elle a ordre de ne point paraître
dans mes appartements sous aucun prétexte. Quand nous avons achevé notre labeur
quotidien, mon fidèle aide de camp dissimule soigneusement sous sa tunique les
rouleaux de papyrus sur lesquels il a consigné mon récit. Et il n’omet jamais
de rendre visite à Arishat pour se plaindre auprès d’elle du temps précieux que
je lui fais perdre en l’entretenant sans cesse de pseudo-projets d’évasion. Il
fait mine de me considérer comme un vieux radoteur poursuivant un rêve
impossible dont il consent à s’occuper mû par un reste de pitié. Un brin
perfide, ma maîtresse lui fait alors remarquer qu’il me doit la vie. Si les
Fils de la Louve n’avaient pas décidé, eu égard à mon rang, de laisser à ma
disposition un aide de camp, il aurait péri avec les autres officiers et
généraux carthaginois étranglés après le triomphe de Scipion Aemilianus. Entre
Arishat et Magon, s’est ainsi créée une fausse complicité dont je fais en
apparence les frais mais qui nous permet de dissimuler notre secret.
Mon aide
de camp a pris toutes les dispositions nécessaires pour qu’après ma mort, mon
texte ne tombe pas dans les mains de nos ennemis. Il a acheté une propriété en
Campanie où une copie de mes écrits est déjà soigneusement dissimulée. Il est
persuadé que ce texte, s’il traverse les siècles, nous vengera de la
destruction de notre ville et fera connaître notre propre version des
événements. Libre à lui de le penser. Moi aussi, j’ai longtemps nourri cette
illusion mais j’en suis bien revenu. Un sinistre pressentiment me fait songer
que les Fils de la Louve n’ignorent rien de nos travaux. Ils nous laissent
faire sur ordre de mon vainqueur car son ami Polybe pourra ainsi tirer profit
de cette longue digression pour enrichir son propre récit tout en prenant le
contre-pied de mes propos. Toujours est-il que je doute fort qu’un jour, mes
Mémoires aient un seul lecteur. Peu importe.
J’ai
mûrement réfléchi et je suis persuadé qu’il ne sert à rien de défier Rome pour
l’instant. Je l’ai dit, je suis convaincu qu’elle connaîtra un jour le sort de
Troie et de Carthage comme l’avait deviné Scipion Aemilianus. Je laisse à
d’autres le soin de s’en charger. Mon seul but est de me venger de mes
compatriotes africains, qu’ils soient numides ou puniques, qui nous ont trahis
et qui ont contribué à hâter la destruction de notre magnifique cité. J’entends
qu’ils paient cher et sous peu cette infamie. J’ai pris mes dispositions en ce
sens ou, plutôt, ce qui est infiniment plus plaisant, Rome s’en est chargée
pour moi. Je n’ai pas les moyens en effet d’intervenir directement en Afrique
où mon nom suscite la réprobation et où
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