Hasdrubal, les bûchers de Mégara
point me considérer comme un pestiféré et
comme un traître.
Plusieurs
signes nous indiquèrent que nous serions, sous peu, conduits à travers les rues
de Rome. Pendant près de deux semaines, nous fûmes littéralement gavés de
nourriture. Les plus faibles d’entre nous devaient reprendre des forces pour
faire bonne figure durant la cérémonie. Un matin, nous fûmes rassemblés, mes
généraux et moi, et conduits sous bonne garde jusqu’à Utique où nous attendait
une quinquérème. Le cœur lourd, je vis les rivages de l’Afrique disparaître peu
à peu de ma vue. Je savais qu’à moins d’un miracle je ne retournerais jamais
sur cette terre bénie des dieux où les miens avaient vécu depuis des temps
immémoriaux. À mes côtés, veillant à ce qu’aucun de mes compagnons d’infortune
n’essaie d’attenter à ma vie, se trouvait Magon. Sa femme et ses enfants
avaient eux aussi péri dans l’incendie de Carthage mais il faisait preuve d’un
calme étonnant. Plus rien ne semblait pouvoir l’affecter et, quand il ne
conversait pas avec moi, il consacrait l’essentiel de son temps à réconforter
ceux de nos compagnons que la perspective de leur mort prochaine effrayait.
Durant tout le voyage, il ne cessa de les égayer par ses récits joyeux,
évoquant leurs faits d’armes et maintes anecdotes qui leur étaient sorties de
l’esprit.
Notre
navire accosta à Ostie un soir. Depuis le matin, la côte était en vue et il
aurait pu gagner le port immédiatement. Mais son commandant, un vieux loup de
mer, manœuvra habilement pour rester loin du rivage. Il avait sans nul doute
reçu avant son départ des ordres en ce sens. Personne ne devait nous voir
débarquer ou nous apercevoir avant le jour prévu pour la célébration du
triomphe des deux consuls. À la nuit tombée, il gagna un quai isolé et nous
quittâmes le navire, escortés par plusieurs dizaines de légionnaires. Nous
prîmes aussitôt la route de Rome, à la lumière des torches. Au petit matin,
notre cortège s’arrêta dans une propriété vidée de ses habitants où l’on nous
servit à boire et à manger. Il nous fallut attendre le coucher du soleil pour
reprendre le chemin de la cité de Romulus que nous atteignîmes tard dans la
nuit. Il faisait trop sombre pour distinguer ses hautes murailles et, dans un
silence de mort, nous marchâmes dans des rues désertes – les
habitants avaient reçu pour consigne de rester cloîtrés chez eux – jusqu’à
une prison située derrière le forum où l’on nous répartit dans différentes
cellules. Nous n’étions pas autorisés à en sortir mais, à plusieurs reprises,
j’entendis dans les couloirs passer des prisonniers qui s’interpellaient en
grec. C’étaient les magistrats et les généraux de Corinthe dont nous devions
partager l’humiliation et qui étaient, eux aussi, arrivés à destination.
Un soir,
une vingtaine de jours après notre arrivée, nous fumes conduits sous bonne
garde aux bains publics où des esclaves muets comme des tombes nous
débarrassèrent de notre crasse et nous enduisirent le corps d’huile et de
parfum. À notre retour dans nos cachots, nous trouvâmes, soigneusement rangés
sur les planches qui nous tenaient lieu de lits, nos tenues d’apparat. Ce
soir-là, aucun de nous ne parvint à s’endormir. Au petit matin, nos gardiens
nous ordonnèrent d’un ton rogue de revêtir nos uniformes. Magon m’aida à lacer
ma cuirasse d’argent ornée d’une tête de lion et je lui rendis le même service.
Dans la cour de la prison, nous attendaient nos compagnons de captivité, Grecs,
Numides et Carthaginois fraternellement mêlés. Encadrés par plusieurs manipules
de légionnaires, nous quittâmes la prison pour rejoindre par un souterrain dont
les murs ruisselaient d’eau l’endroit où le cortège était en train de se
former.
À l’avant,
des milliers d’esclaves, corinthiens ou carthaginois, portaient les trésors
arrachés à nos palais ou tiraient des chariots sur lesquels l’on avait hissé
les statues de nos dieux et de ceux des Grecs enlevées des temples avant que
ces derniers ne s’écroulent sous la pioche des démolisseurs. Le soleil, déjà
haut dans le ciel, dardait ses rayons sur ces richesses inouïes, ultimes
vestiges de civilisations bien supérieures à celle de Rome. Nous devions
défiler derrière ce premier cortège, officiers et généraux en tête, suivis de
quelques centaines de soldats portant encore sur leurs
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