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Hasdrubal, les bûchers de Mégara

Hasdrubal, les bûchers de Mégara

Titel: Hasdrubal, les bûchers de Mégara Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Girard
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les
yeux sur la réalité. Le grand prêtre d’Eshmoun était un fervent admirateur
d’Hannibal et c’est par lui que j’appris les exploits accomplis par le plus
grand capitaine de tous les temps, notamment sa traversée des Alpes. Émerveillé
par ses récits, j’avais décidé de me consacrer à la carrière des armes et
j’appris à manier le glaive et la lance avec quelques vieux soldats trop
heureux de voir un jeune Punique nourrir dans son cœur des rêves de revanche.
    Mutumbaal
n’en savait rien. Il rêvait pour moi d’un autre destin. Pour autant que je le
sache, il ne souhaitait pas que je lui succède au Sénat, devinant mon peu de
goût pour les ruses et les intrigues. Il voulait faire de moi un propriétaire
terrien et un homme d’affaires. En effet, parallèlement à ses activités
publiques, il s’était lancé dans le négoce. Depuis des générations, sa famille
possédait d’immenses domaines agricoles dans les Grandes Plaines, au nord de
Carthage, et dans la région du Beau Promontoire. Des milliers d’esclaves
cultivaient nos terres où poussaient le blé, l’orge, la vigne, les oliviers,
les légumes et les arbres fruitiers.
    Quant au
cheptel paissant dans les prairies, il fournissait en viande les marchés de la
cité d’Elissa. Très au fait de ses intérêts, mon père effectuait parfois des
visites à l’improviste dans ses domaines pour vérifier les comptes des
intendants et se montrait impitoyable envers ceux qui avaient eu la mauvaise
idée de le gruger.
    Son coup
de génie avait été de ne point se limiter aux seuls revenus qu’il tirait de ses
terres. En bon Punique, il avait une âme de marin et il s’était associé avec
des armateurs pour profiter de l’extraordinaire développement des relations
commerciales entre Carthage et Rome après la défaite de Zama. Ayant dû détruire
sa flotte de guerre, notre ville avait conservé ses navires marchands présents
dans tous les ports de la grande mer. Après les années d’austérité imposées par
les coûteuses campagnes d’Hannibal, une frénésie de luxe s’était emparée de nos
concitoyens. Au début, le Conseil des Cent Quatre avait tenté de réagir en
édictant des lois somptuaires interdisant par exemple aux femmes de porter des
étoffes ou des bijoux trop riches. Mais les épouses des sénateurs avaient été
les premières à protester et leurs maris, las d’endurer leurs récriminations,
avaient rapidement abrogé ces mesures. On murmurait même que certains d’entre
eux avaient touché à l’occasion d’énormes gratifications de la part des
marchands.
    Je dois le
dire à ma grande honte, mon peuple n’a jamais eu la fibre guerrière. Les fils
d’Elissa étaient moins de farouches militaires que de féroces hommes d’affaires
dont la cupidité était proverbiale. Si le cothôn, le port militaire, était
quasiment désert, le port marchand, lui, ne désemplissait pas à la belle
saison. Les bateaux devaient parfois attendre plusieurs jours avant de pouvoir
s’amarrer à quai et décharger leurs précieuses cargaisons. L’une des
marchandises les plus prisées était la céramique de Campanie dont tous nos
concitoyens, qu’ils soient riches ou pauvres, souhaitaient posséder quelques
échantillons : plats, vases, lampes, cruches, etc. Il est vrai qu’elle
était infiniment plus belle que la médiocre poterie fabriquée par les artisans
locaux. Quant aux femmes, elles raffolaient des parfums de Capoue. Cette
malheureuse cité avait été durement punie pour avoir ouvert ses portes aux
troupes d’Hannibal mais ses nouveaux habitants avaient repris les activités de
leurs prédécesseurs et le marché de la Silapia expédiait ses produits jusqu’en
Orient. Les Campaniens, sitôt la paix signée, avaient retrouvé le chemin de
Carthage et n’éprouvaient aucun scrupule à commercer avec leurs anciens
ennemis.
    En
échange, nous vendions à fort bon prix notre blé, notre orge, notre fourrage et
notre huile à Rome, dont les besoins ne faisaient qu’augmenter au fur et à
mesure de ses conquêtes. À plusieurs reprises, le Sénat avait sollicité du
Conseil des Cent Quatre des livraisons considérables de céréales pour
ravitailler les légions parties guerroyer en Grèce et en Orient. Ces demandes
avaient été scrupuleusement honorées sans que nos dirigeants exigent en
contrepartie une diminution du lourd tribut payé chaque année aux Fils de la
Louve. Signe de l’amélioration constante

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