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Haute-savane

Haute-savane

Titel: Haute-savane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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heureux. Quant aux filles publiques, elles faisaient visiblement des affaires d’or.
    Toute cette gaieté, toute cette agitation, accentuait le morne silence de ce couple dont plus d’un regard envieux suivait la course et qui, pourtant, semblait composé de deux étrangers, de deux êtres entre lesquels n’existait aucune communication. Ce fut seulement quand la voiture s’arrêta devant le perron éclairé de la maison que Gilles, offrant la main à sa femme pour l’aider à descendre, lui dit :
    — Lorsque La Vallée m’aura communiqué les conditions de la rencontre, j’irai vous rejoindre. Veuillez m’attendre…
    Elle répondit d’une simple inclination de tête puis, ramassant ses amples jupes qu’un léger vent soulevait comme un nuage noir, elle remonta chez elle.
    Une demi-heure plus tard, Gilles raccompagnait à leur voiture Gérald de La Vallée et son beau-frère Henri de Sélune, une baguette de fusil en uniforme de Royal-Vaisseaux, qui étaient venus lui faire connaître les conditions du duel. Le lieu de la rencontre était une petite prairie qui se situait derrière le Fort Picolet. Le moment : une demi-heure avant le lever du soleil afin qu’à l’aube les officiers qui allaient assister les duellistes pussent regagner leurs postes. L’arme choisie était le pistolet… mais le procès-verbal de la rencontre n’avait pas mentionné la cause véritable du duel afin de laisser à l’abri l’honneur de Judith. Le prétexte en était un démenti suivi d’une altercation.
    Quand la voiture se fut éloignée, Gilles indiqua à Justin de fermer la maison puis gagna sa chambre et monta la flamme de la veilleuse disposée auprès du grand lit à baldaquin. Il prit ses pistolets dans une boîte d’acajou posée sur une commode. C’étaient d’anciens serviteurs déjà et il leur faisait entière confiance car il savait les avoir bien en main. Il vit qu’ils étaient amorcés mais vérifia la détente avant d’y enfoncer les balles. Puis il les remit en place et referma la boîte qu’il caressa un instant d’une main presque affectueuse.
    Rendières, il le savait, était un excellent tireur, mais il n’était pas très inquiet sur son propre sort car, depuis la guerre d’Indépendance, il n’avait jamais cessé de s’entraîner presque quotidiennement afin de garder l’acuité de son œil et la précision de sa main. Il savait pouvoir, même à cheval, atteindre n’importe quel but à portée de son arme…
    Ces précautions prises, il alla s’asseoir un moment dans un fauteuil, la tête dans ses mains, goûtant à sa valeur le silence profond qui enveloppait la maison où tout le monde, hormis lui et Judith, devait dormir car, dès son retour, il avait envoyé Zébulon se coucher. Sur l’écran noir de ses paumes, la scène du jardin se retraça irritante comme une piqûre d’insecte que l’on a grattée. Il revit Judith renversée, le buste nu et les yeux clos entre les bras de cet insupportable fat de Rendières, et chercha à comprendre. Il n’avait pas pris au sérieux, tout à l’heure, sa menace de se donner à un autre homme et il avait eu tort. Fût-il arrivé quelques minutes plus tard qu’il eût sans doute trouvé sa femme en train d’assouvir le désir de son amoureux… et peut-être le sien propre. Curieusement, il n’éprouvait aucune colère contre elle. C’était à lui-même qu’il en voulait. À lui qui, absorbé par l’amour insensé qu’il portait à une enfant de dix-huit ans, autant que par le doute terrible qu’il traînait depuis la mort de Rozenn, avait laissé seule en butte à tous les désirs, à toutes les tentations d’une île où la volupté avait droit de cité autant qu’à Cythère et se levait pour appeler à tous les coins de rues, une femme en pleine jeunesse et pleine beauté. Une femme qui aimait l’amour et qui, frustrée, était peut-être en train de devenir une nymphomane…
    Lentement, il ôta son habit de soie blanche qu’il jeta sur une chaise, se déshabilla entièrement puis se glissa dans une ample robe chinoise noir et or qu’il avait trouvée chez Tsing-Tcha, le savant et industrieux ami de Liam Finnegan. Puis allant jusqu’à un cabaret de salon placé dans un coin de sa chambre, il y prit un verre, un flacon d’épais rhum noir et s’en versa une rasade sérieuse qu’il avala d’un trait.
    Demain, il mourrait peut-être car le plus habile tireur ne peut rien contre les arrêts du Destin. Mais,

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