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Haute-savane

Haute-savane

Titel: Haute-savane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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mer encore endormie. Calmement, Gilles tendit son pistolet à La Vallée qui le rejoignait en courant puis remit son habit. Là-bas, au bout du champ qu’abritaient les murs du vieux fort à la Vauban, un groupe d’uniformes entourait sa récente victime, un groupe d’où partaient des gémissements.
    — Jamais vu un coup comme celui-là, haleta La Vallée un peu essoufflé. Vous lui avez fait éclater le pistolet dans la main… Il en a pour un moment avant de pouvoir tenir une arme…
    — Ou caresser une femme ! lança Tournemine sarcastique. C’est très bien ainsi. Je pense qu’il n’a pas envie de continuer. À moins qu’il ne sache tirer des deux mains…
    — Bien peu d’hommes savent tirer des deux mains.
    — Moi, je sais. Vous n’avez pas idée des acrobaties auxquelles vous oblige la guerre contre les Indiens. Eh bien, puisque cette affaire est réglée, nous pourrions peut-être aller déjeuner ? Je meurs de faim. Pas vous ?
    — Bien sûr que si. Mais venez au moins signer le procès-verbal… et prendre courtoisement des nouvelles de votre adversaire. Cela se fait entre gentilshommes… et puis, ajouta La Vallée en riant, c’est toujours un spectacle réjouissant que de contempler les grimaces d’un homme à qui l’on vient de régler son compte.
    Les dernières formalités furent vivement accomplies. Gilles se pencha un instant sur un Rendières blanc comme sa chemise, étendu sur l’herbe tachée de sang tandis que le chirurgien de marine que ses témoins avaient amené bandait sa main, ou ce qu’il en restait.
    — J’espère, monsieur, que ceci vous servira de leçon, fit Gilles mi-figue mi-raisin. Je me tiens, pour ma part, pour satisfait et vous souhaite un prompt rétablissement… et un excellent voyage vers la France puisque vous repartez avec M. de La Luzerne. Serviteur, messieurs ! ajouta-t-il en saluant à la ronde.
    Puis, glissant son bras sous celui de son ami, il regagna le bouquet d’arbres où l’on avait laissé les chevaux, suivi d’Henri de Sélune devenu tout à coup presque affectueux, en dépit de son naturel glacial, pour un homme capable de se servir d’un pistolet avec cette maestria.
    — J’ai grande envie de demander au nouveau gouverneur, M. de Vincent, de vous faire nommer instructeur général des jeunes officiers, s’écria-t-il. En vérité, j’en connais beaucoup qui demanderont à se mettre à votre école…
    — Pour l’amour du Ciel, ménagez ma modestie, cher monsieur ! Mes petits talents doivent demeurer cachés et à la seule disposition de mes ennemis. À présent, allons boire un bon café au Brûlot Mercadier. Je n’en ai jamais bu de meilleur.
    — Je crois bien, dit Gérald. C’est moi qui le fournis à Mercadier.
    Sur la terrasse abritée d’une pergola chargée de vigne qui dominait le port, les trois hommes firent un copieux repas arrosé de plusieurs tasses de ce café-brûlot qui avait fait la réputation de Mercadier grâce à la générosité et à la puissance du rhum qu’il y faisait flamber. Gilles se sentait merveilleusement bien dans sa peau, par ce glorieux matin. Rien de tel que d’avoir regardé un instant la mort en face pour apprécier intensément les senteurs et le goût de la vie. La nuit d’amour vécue dans les bras de Judith lui avait offert une assez bonne imitation de ce que pouvait être le bonheur. Il avait, à sa surprise, retrouvé intactes les délices de leur première nuit, à Versailles, jadis, avec cette différence qu’il n’avait fait, cette nuit-là, qu’éveiller à l’amour une fille neuve. Mais la femme qui avait déliré sous ses caresses n’était plus une novice mais une femme ardente, un magnifique instrument d’amour aussi passionné, aussi brûlant que l’avait été la belle comtesse de Balbi, la folle maîtresse qu’il avait laissée en France.
    En se rendant sur le terrain, tout à l’heure, il avait gardé au fond des yeux l’image adorable de Judith endormie au milieu du désordre charmant de ses draps froissés et de sa chevelure traînant presque jusqu’au tapis. Sa bouche, gonflée par trop de baisers, s’entrouvrait en un léger sourire tandis que sa main reposait doucement, comme une étoile de mer, sur la douce rondeur de son sein. Devant Rendières il s’était battu avec une froideur apparente qui cachait bien sa rage impatiente. Il n’allait pas, tout de même, renoncer à de telles joies à cause de cet imbécile qui osait les

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