Haute-savane
trois hommes arrivaient au bas du sentier conduisant vers l’habitation quand ils la rencontrèrent. Escortée des deux fillettes que Gilles avait vues porter les chandelles devant la « mamaloï » au moment où celle-ci était venue le sauver, elle marchait appuyée sur son bâton au serpent et portait son impressionnante robe rouge et sa coiffure de plumes. De toute évidence, elle se rendait à cette réunion à laquelle les tambours avaient appelé.
Voyant apparaître le maître, elle ne marqua aucune frayeur, aucune surprise. Elle s’arrêta simplement. Gilles savait déjà qu’il y avait, dans cette étrange femme, deux personnalités bien distinctes et que la cuisinière habile, gourmande et joyeuse de sa maison n’était que la doublure d’une puissance étrange, mystérieuse et forte mais essentiellement bénéfique habitée parfois par un don singulier de double vue.
La rencontrant sous ses habits de prêtresse, il ne s’y trompa pas et la salua avec déférence, imité par les deux autres.
— Nous te cherchions, Celina. Nous avons besoin de toi et de ton grand pouvoir car, depuis le milieu de ce jour, nous sommes tous en grand danger. Cette maison, dit-il désignant les grands toits bleus de l’habitation qui brillaient doucement sous la lune, ces terres où plus personne ne souffre cependant, nos vies mêmes sont en péril. Un péril que toi seule as peut-être le pouvoir de conjurer.
— Tu es un bon maître et tu sais que tu peux compter sur Celina. Parle !
— Un homme est venu, ce matin, un religieux de l’hôpital de la Charité…
Rapidement, il raconta ce qui s’était passé entre lui et le frère Ignace puis la visite sacrilège qu’avec Finnegan et Pongo il venait de rendre à la sépulture Ferronnet et l’étrange découverte qu’ils y avaient faite.
Celina hocha sa tête emplumée mais son visage sombre demeura aussi impassible, aussi figé que du basalte. Du bout de son bâton elle dessinait machinalement des figures sur le sable de l’allée et gardait le silence.
— Tu ne sembles pas surprise ? fit Tournemine. Qu’as-tu à dire ?
— Rien. Je me doutais que le maître avait été enlevé du tombeau mais je ne pouvais rien faire. D’ailleurs, je n’étais pas sûre et puis j’ai dû me sauver. Olympe est puissante, dangereuse comme un serpent à sonnette mais personne n’aurait imaginé qu’elle oserait s’en prendre au cadavre d’un grand Blanc. Les Noirs qui craignent que l’on prenne le corps de ceux qu’ils aiment et qui meurent gardent les tombes pendant trois ou quatre jours, jusqu’à ce que la corruption ait commencé car, après, on ne peut plus faire un zombi… Mais madame ignorait tout cela. Elle aurait fait fouetter celui ou celle qui aurait parlé de garder la tombe du maître.
— Mort vivant ou mort véritable, il faut retrouver M. de Ferronnet avant huit jours. Crois-tu la chose possible ?
Les gros yeux couleur de chocolat de Celina considérèrent son jeune maître avec une tristesse où entrait de la pitié.
— Si les dieux sont avec toi, tout sera possible et tu éviteras les pièges des méchants. Laisse-moi aller mon chemin, à présent. Je vais le leur demander.
— Et s’ils ne sont pas avec moi ?
— Il te faudra prier le tien et t’en remettre au pouvoir de tes armes d’homme. Mais ne désespère pas. Nous combattrons tous avec toi car il n’y a pas ici un Noir qui ne te soit reconnaissant d’avoir compris qu’il était aussi un homme et de lui permettre de vivre comme un homme.
Au loin, le roulement doux des tambours reprenait.
— On m’appelle, dit Celina. Va en paix et dors. Je vais parler là-bas de ce qui se passe ici. Le Gros Morne sera fouillé trou par trou, feuille par feuille, ravin par ravin et, si les dieux le veulent, le vieux maître sera dans sa tombe quand ceux qui veulent ta mort viendront pour te perdre.
Sur un dernier signe qui ressemblait curieusement à une bénédiction, la prêtresse en robe rouge, couleur du sang du sacrifice, reprit son chemin suivie de ses deux jeunes compagnes qui avaient attendu sagement assises dans l’herbe qu’elle eût fini de parler.
Les trois hommes regardèrent avec un respect mêlé d’espoir son imposante silhouette disparaître sous le couvert des arbres dans ce chemin en pente qui semblait monter vers le ciel et se perdait dans la nuit.
Le lendemain, un bûcheron de la plantation Guillotin trouva en travers d’un chemin le corps de
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