Haute-savane
Celina, égorgée. On lui avait enlevé sa belle coiffure de plumes et sa robe rouge avait été lacérée. Quant à ses deux jeunes compagnes, elles avaient disparu.
1 . Légère construction où les pêcheurs rangent habituellement lignes, filets et autres objets de navigation.
2 . Cf. Un collier pour le diable .
CHAPITRE XIII
UN FANTÔME EN PLEIN JOUR
En dépit du soleil, des fleurs, du tendre roucoulement des tourterelles et du vol étincelant des oiseaux-mouches qui brillaient comme des joyaux sur le vert profond des plantes et des arbres, la mort de Celina tomba sur « Haute-Savane » comme une chape de plomb. Elle accabla Gilles comme sous le poids d’une malédiction car la « mamaloï » emportait avec elle son plus sûr espoir – le seul peut-être – de déjouer à temps les diaboliques machinations qui se tramaient dans l’ombre pour lui arracher finalement le beau domaine venu à lui par les bizarres chemins du sort et qu’il avait cru longtemps un don de Dieu. À présent, il en venait à se demander si les roses murailles qu’il aimait tant ne constituaient pas en réalité le plus souriant, le plus mortel des pièges car il s’en prenait à son âme et à ses croyances.
Pour les femmes de sa maison, qu’il savait fragiles et mal préparées aux étrangetés de cette terre inconnue, il avait préféré laisser ignorer la menace du frère Ignace et aurait souhaité que la mort de Celina passât pour un accident. Mais quand Moïse et Charlot avaient rapporté sur une civière le corps exsangue enveloppé dans une épaisse couverture suivie par lui et par Pongo, ils avaient trouvé, en arrivant vers le quartier des domestiques, un groupe d’une cinquantaine de travailleurs agricoles qui attendaient sous la conduite d’un de leurs contremaîtres, un grand Yolof nommé François Bongo.
Apparemment, la nouvelle avait fait le tour de la plantation à la vitesse d’une traînée de poudre. Gilles en fut contrarié mais n’en montra rien. La douleur silencieuse de ces braves gens était émouvante et aussi leur colère qui, bien entendu, n’était pas dirigée contre lui mais contre le ou les mystérieux assassins d’une femme que beaucoup de Noirs, dans toute l’île, révéraient comme une sainte. Ce fut François Bongo qui traduisit le sentiment de ses compagnons.
— Nous trouver assassin ! Nous tuer sans pardon ! Toi pas nous empêcher ! ajouta-t-il s’adressant à Tournemine d’un ton où perçait une menace.
— Je ne vous en empêcherai pas, je vous en donne ma parole ! J’aimais Celina. Je lui dois la vie et j’entends que son meurtrier soit châtié. Et le plus tôt sera le mieux. Mais, auparavant, il faut lui rendre l’hommage qu’elle mérite. Bongo, tu iras jusqu’aux cases du Morne Rouge dire que personne ne travaillera demain, jour où elle sera portée en terre et, cette nuit, vous pourrez veiller son corps comme vous l’entendrez. Moïse réglera tout cela. Dès à présent, vous pouvez commencer les préparatifs.
Ils le remercièrent d’un murmure unanime puis se formèrent en cortège derrière la civière pour conduire Celina dans la cour qui s’étendait entre l’habitation et les cuisines où sur une sorte de catafalque de branches, de feuilles et de fleurs, elle passerait la nuit.
Gilles ordonna que la tombe soit creusée dans la petite clairière où s’élevait la tombe des Ferronnet car il lui semblait convenable que la fidèle Celina reposât auprès de ses anciens maîtres. Quatre hommes armés de pelles et de pioches partirent aussitôt, mais ils avaient à peine disparu que Désirée venait frapper à la porte du cabinet de travail où Gilles s’était enfermé pour essayer de voir clair dans ces catastrophes successives qui s’abattaient sur lui. L’ancienne servante de Simon Legros venait demander qu’après l’inhumation la tombe fût gardée pendant plusieurs nuits afin que le corps de celle qui avait été une grande prêtresse ne fût pas volé.
Gilles haussa les épaules avec lassitude, excédé par cette histoire de cadavres tirés de leurs cercueils et se promenant à l’air libre.
— Celina a été tuée d’un terrible coup de machette, dit-il. Sa tête a été presque séparée de son corps et elle a été vidée de tout son sang. Elle est au-delà de toute possibilité de résurrection factice aussi bien que si son corps se décomposait déjà. Mieux encore peut-être !
— Tu as raison sur ce point, dit
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