Haute-savane
trouver. M. de Ferronnet avait, sur la joue gauche, une large tache de vin et son profil était assez particulier.
— La corruption naturelle pourrait expliquer des différences, dit Tournemine qui se raccrochait déjà à cet espoir mais Finnegan hocha la tête.
— Cela ne marchera pas. Le frère Ignace s’est montré trop sûr du fait. Il a dû être bien renseigné, par Legros lui-même sans doute ou, mieux encore, par Olympe, sa diabolique maîtresse. Tu refuses de croire à l’existence des zombis, Gilles, et tu as tort. Je sais, moi, un médecin, un rationaliste, qu’ils existent et je crains une chose : que ces maudits prêtres ne sachent très bien, eux, ce qu’est devenu notre défunt. Admets que nous fassions ce que conseille Pongo, que nous nous procurions un cadavre que je suis très capable d’arranger convenablement mais qu’au jour où ces vautours viendront ouvrir ce cercueil ils amènent le vrai Ferronnet ? Nous aurions bonne mine.
— Dans ce cas, dit Gilles, découragé, il n’y a plus rien à faire… sinon prévenir Maublanc que je vends « Haute-Savane » et repartir avec toute ma maisonnée. Le Gerfaut est en France mais La Vallée trouvera bien au moins le moyen de nous faire passer à Cuba.
— Ce serait t’avouer coupable. C’est tout ce que souhaitent tes ennemis.
— Alors quoi faire ?
Calmement, Finnegan replaça le couvercle du cercueil mais négligea de le ressouder. C’était inutile pour le moment.
— Aller porter le problème à Celina ! Elle est puissante, tu sais. Au moins autant qu’Olympe car il n’y a pas un Noir dans tout le Nord qui ne la respecte et ne la vénère. Si quelqu’un peut retrouver Ferronnet, c’est elle.
— Soit ! Allons la voir. Mais je me demande si je ne suis pas en train de devenir fou…
— Quand tu auras vécu dix ans ici ou bien tu en seras certain ou bien tu auras totalement oublié cette impression… Finissons-en.
Dix minutes plus tard, Gilles refermait la grille et respirait avec délice l’air frais de la nuit qui lui parut divinement pur après les odeurs de moisissure et les relents de l’étain fondu. Comme lui parut délicieux le rhum que Finnegan lui tendit et qu’il portait à sa ceinture dans une gourde. Délivré des phantasmes qu’avaient fait naître en lui cette tombe, ce cercueil vide, il se retrouvait avec bonheur les deux pieds sur la terre de Dieu, sous le ciel de Dieu, de Dieu à qui, seul, appartenait le pouvoir de résurrection.
— C’est impossible ! soupira-t-il enfin. Il y a une explication rationnelle. Aucun homme, aucun sorcier si puissant qu’il soit n’a le pouvoir de rappeler à la vie un homme mort, vraiment mort. Comment se fait-il qu’un homme aussi savant que toi n’aies pas réussi à trouver une réponse à cette question ?
Finnegan haussa les épaules.
— Je ne suis pas savant. Je ne suis qu’un manieur de scalpel et j’ai, crois-moi, cherché à comprendre. Je pense comme toi qu’il y a peut-être une explication mais, jusqu’à présent, personne ne l’a encore trouvée. Allons voir Celina.
— À cette heure ? Elle doit dormir et si on la réveille on va réveiller tout le quartier des domestiques.
— Celina est une vieille femme qui ne dort pas beaucoup. En revanche, elle sait fort bien employer le temps que les autres consacrent au sommeil.
Le roulement éloigné d’un tambour en peau de vache lui coupa la parole. Au souvenir de ce qu’avaient signifié ces battements lugubres la dernière fois qu’il les avait entendus, Gilles sentit ses cheveux se dresser sur sa tête. Allait-il falloir faire face à une nouvelle révolte ? Ses deux compagnons s’étaient arrêtés et écoutaient eux aussi. Cette fois, le bruit ne venait pas des terres de « Haute-Savane » à la limite desquelles ils se trouvaient, mais des profondeurs sauvages de la montagne. Ce n’en était pas plus rassurant pour autant et Finnegan grogna :
— Je ne me ferai jamais à ces damnés tambours. Qu’est-ce que cela nous réserve encore ?
— Rien, dit Pongo tranquillement. Tambours dire moment venu pour danser en honneur dieu-serpent Damballa.
— Comment ? fit Gilles en considérant l’Indien avec effarement. Tu comprends le langage des tambours à présent ?
Le sourire de Pongo découvrit largement ses grandes incisives de lapin géant.
— Bien sûr ! Moïse apprendre… Facile !
Ainsi que l’avait prédit Finnegan, Celina ne dormait pas. Les
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