Haute-savane
majestueux, Cornplanter marcha jusqu’à l’Oswego dont les eaux rapides couraient vers le lac Ontario. Arrivé sur la berge, il les désigna d’un geste impérieux.
— Le fleuve est l’ami de l’Homme rouge. Il rend sa terre féconde et il contribue à sa nourriture en lui donnant les poissons qui abondent dans ses eaux. C’est là que nous nous battrons et nos armes seront celles-ci…
D’une main il tira le couteau passé à sa ceinture, tendit l’autre à l’un de ses hommes qui y plaça une sorte de trident, une foène avec laquelle les Iroquois embrochaient truites et saumons dans les torrents.
Un instant, il laissa son adversaire apprécier à son aise le choix qu’il venait de faire puis, souriant de nouveau, il articula :
— Toi dont l’emblème vole vers le soleil et peut le regarder en face, es-tu aussi à ton aise dans le royaume des eaux ?
Gilles se mit à rire.
— Tous les Indiens sont poètes, je le savais depuis longtemps. Cette belle phrase me demande simplement si je sais nager. Sois sans crainte, je ne te décevrai pas. Je suis né de l’autre côté de la Grande Mer salée, au bord même de cette Grande Mer, et j’étais moins grand que Tikanti lorsque l’on m’a plongé pour la première fois dans ses eaux, souvent tumultueuses.
Si le chef iroquois fut déçu, il n’en montra rien. À son tour, il s’inclina, rejeta la foène et posa une main presque amicale sur l’épaule du chevalier.
— Heureux seront donc ceux qui assisteront au combat. Il aura lieu lorsque le soleil commencera à décliner. Jusque-là, tu es mon hôte et tu partageras mon repas.
À l’annonce du spectacle de choix qui se préparait, le village éclata en acclamations enthousiastes. Les tambours résonnèrent, les guerriers rentrèrent chez eux pour préparer leurs ornements les plus fastueux afin d’être dignes d’être présents à ce combat au cours duquel leur chef vénéré allait jouer sa vie contre un homme dont la réputation était venue jusqu’à eux. Les femmes se hâtèrent d’entamer les préparatifs d’un repas de gala car il fallait marquer cet événement d’une grande fête, aucun des Iroquois ne doutant un seul instant de l’issue de la bataille : le chef triompherait comme il triomphait toujours et l’on célébrerait sa gloire longtemps, dans les temps à venir, autour des feux de campement.
Naturellement, ce fut dans la maison du chef que Nahena servit le repas des deux hommes : des poissons cuits sur des pierres brûlantes et une bouillie de maïs mêlée d’herbes. Tout le temps qu’ils mangèrent, Cornplanter et Gilles observèrent le silence car la nourriture est chose sacrée. Mais les choses se passèrent comme si deux frères étaient en train de partager le même plat. À une seule exception près : le petit fourneau de marne rouge emmanché d’un tuyau de bois du calumet demeura veuf de tabac puisqu’il ne pouvait être question de paix entre les deux hommes.
Après le repas, ils demeurèrent un moment à deviser calmement et Gilles apprit ainsi que l’homme attaché au poteau avait été un trafiquant, assez peu défendable d’ailleurs, qui tentait de s’approprier les plus belles fourrures des Indiens en leur offrant de l’eau de feu.
— L’homme devient pareil à une bête insensée quand il boit cette eau terrible, expliqua Cornplanter. J’ai besoin, moi, que mes guerriers demeurent des hommes sages et qu’ils gardent l’œil clair et la main prompte. Ce marchand malhonnête ne méritait pas le danger que tu as couru en venant le tuer sous mes yeux.
— Peut-être, mais je te rappelle qu’il y avait une autre raison à ma venue chez toi. Me laisseras-tu emmener en paix celui que tu appelles Tikanti et que j’appellerai, moi, Olivier de Tournemine, si je sors vainqueur du combat ?
L’Iroquois eut un petit rire sans gaieté.
— Si tu sors vainqueur, je ne pourrai sans doute plus faire entendre ma voix. Alors tu pourras l’emmener en paix. À présent, il est temps, je crois, que nous nous préparions.
Toujours avec la même solennité, ils regagnèrent le bord du fleuve. Derrière les grands arbres de la forêt voisine, le soleil commençait à descendre et Gilles ne put s’empêcher de jeter un regard vers ces cimes illuminées. Tim avait dû rejoindre cet abri naturel et, sans doute, il n’avait cessé d’observer ce qui se passait depuis le sommet d’un de ces grands arbres qu’illuminait si chaleureusement
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