Haute-savane
le soleil déclinant. À son adresse, il fit, du bras, un grand geste qui était peut-être un adieu car Dieu seul pouvait dire lequel, de lui ou de son ennemi, sortirait vivant de ce beau fleuve dont les eaux fraîches se perdaient dans l’immensité du grand lac bleu.
En vérité, on ne pouvait rêver plus beau cadre pour mourir… En face de lui, Gilles voyait s’élargir l’estuaire de l’Oswego, les deux forts qui le gardaient sur lesquels l’Union Jack flottait toujours comme un arrogant défi. Au-delà, c’était le lac scintillant, piqué d’îles, sur les bords duquel bientôt afflueraient les tribus indiennes et les trafiquants venus d’Albany (dont Tim s’il était encore en vie). Le ciel par-dessus tout cela prenait des teintes d’hyacinthe et de tourmaline et le jeune homme pensa qu’il avait rarement contemplé plus beau spectacle. Malheureusement, le temps lui était compté. Il y avait cet homme qu’il allait affronter dans les courtes vaguelettes claires, cet homme qui avait toutes les raisons de le haïr… Il y avait cet enfant dont les yeux bleus si pareils aux siens le regardaient froidement depuis la rive, priant sans doute son dieu barbare pour qu’il eût le dessous.
Repoussant vigoureusement les pensées débilitantes, il commença à se déshabiller. Cornplanter en faisait autant et, bien qu’il fût à peu près nu, c’était presque aussi long à cause des nombreux ornements d’argent qu’il portait. Non loin d’eux, le village criait son enthousiasme et Gilles put voir Nahena qui, d’un geste de protection tendre, attirait l’enfant blond contre elle. Celle-là non plus ne devait pas prier pour sa victoire.
Nus comme au jour de leur naissance, les deux adversaires se tournèrent l’un vers l’autre. La peau de l’Indien avait la couleur patinée du vieux cuir, celle du Français une chaude teinte d’ivoire bruni mais, sur l’une comme sur l’autre, s’inscrivaient les cicatrices proclamant que ces hommes étaient des braves et que cela n’était pas leur premier face-à-face avec la mort.
Soudain, Cornplanter éleva ses deux mains ouvertes vers le soleil, en un geste d’offrande… celle de sa vie peut-être. De son côté Gilles murmura une rapide prière, la conclut d’un large signe de croix et attendit.
— Allons ! cria le chef, et que le plus vaillant l’emporte !
— Non, que le plus heureux l’emporte ! Nous sommes, je crois, égaux en courage et je n’ai pas de haine pour toi, Planteur de Maïs.
L’ébauche d’un sourire détendit le visage sévère de l’Iroquois. Puis, indiquant de la main le chemin, il alla prendre place à l’avant de l’un des canoës qui attendaient, montés par deux guerriers aux pagaies. Gilles prit place à l’avant de l’autre et les deux embarcations nagèrent vers le milieu du fleuve portant chacune à sa proue une statue de bronze de nuance différente que le soleil faisait briller.
Chacun des deux combattants s’appuyait sur un trident et un long couteau iroquois était posé entre leurs pieds nus, sur le plat-bord du bateau.
Quand ils furent arrivés à l’endroit choisi, Cornplanter se baissa, plaça d’un geste vif le couteau entre ses dents puis, d’une brusque détente, plongea dans le fleuve comme une longue anguille de cuivre. Gilles suivit aussitôt sans même se donner un instant de réflexion. Immédiatement, les rameurs écartèrent leurs embarcations, délimitant entre eux un champ clos théorique.
La plongée de Gilles avait été profonde. Il piquait droit vers le lit du fleuve afin de juger des dimensions exactes de l’endroit où il évoluait. Il espérait trouver peut-être un rocher derrière lequel s’abriter pour observer son ennemi. L’eau, en effet, en dépit de sa teinte un peu brune était claire et suffisamment transparente. Il aperçut Cornplanter à quelques mètres de lui. L’Iroquois avait eu la même idée et allait atteindre le fond avant lui. Dès qu’il se redresserait il pourrait lancer son trident en direction de son adversaire… Gilles le devança. Fonçant droit sur lui, il se retourna brusquement. Ses pieds, rassemblés comme par un ressort serré, se détendirent et allèrent frapper Cornplanter en plein creux de l’estomac. Puis, tandis que l’autre se pliait en deux, il frappa le sable du fond et remonta vers la surface pour reprendre haleine. Son ennemi serait obligé d’en faire autant pour retrouver l’air, dont il venait de lui vider les
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