Haute-savane
une grande case de rondins. Celle-ci, dans laquelle il entraîna son hôte improvisé, ne ressemblait en rien à l’habituelle tente d’écorce ou de peau de cerf tendue sur des perches que construisaient les anciens. L’intérieur, garni de couvertures tissées par les femmes, de peintures d’animaux symboliques et de fourrures, offrait même une certaine élégance. L’odeur d’herbes y était puissante, Cornplanter étant lui-même un habile medecine-man.
De la main, le chef indiqua une peau d’ours disposée près du foyer central. Une femme, sortie de l’ombre, vint jeter une poignée de brindilles sur le feu qui bondit joyeusement vers le trou pratiqué dans le toit de la case. Gilles entrevit un profil finement ciselé puis la femme recula vers l’obscurité dont elle était sortie, mais Cornplanter la rappela d’un geste impérieux, lui jeta quelques paroles et le Breton vit soudain les deux grands lacs sombres où vivait son regard s’emplir de crainte et de ces reflets qui annoncent les larmes. Elle vint s’agenouiller sur la peau d’ours, considérant Gilles de ses grands yeux humides où la crainte se changea bientôt en angoisse. Elle murmura quelques paroles auxquelles Cornplanter répondit avec une étrange douceur. Alors, prestement relevée, elle alla prendre la main du chef, l’appliqua sur sa joue en un geste charmant de grâce et de tendresse puis, tournant le dos à l’étranger, elle disparut de nouveau.
— Nahena sert de mère à Tikanti depuis que Sitapanoki a rejoint ses ancêtres. Elle l’aime autant que s’il était né de sa propre chair, dit l’Indien tranquillement. Elle a dit qu’en effet il te ressemble… mais elle ne supporterait pas qu’un étranger puisse prétendre le lui enlever. Je l’ai, comme tu as pu le deviner, entièrement rassurée.
— Et je parle ta langue… mais tu as eu tort. Quelle autre raison aurais-je pu avoir de m’approcher de tes feux de campement, sinon celle de reprendre mon fils ?
Un mince sourire, vite effacé, étira un instant les lèvres pleines du chef iroquois, mais Gilles ne se trompa pas sur sa signification. Les loups, s’il leur arrivait de sourire, devaient avoir celui-là.
— C’est bien ce que j’avais cru deviner. Mais nous en parlerons plus tard. Pour l’instant, je voudrais apprendre de toi certaines choses. D’abord, qui es-tu ? Tu n’es pas de ce pays. Pourtant il me semble t’avoir déjà vu…
— Tu m’as vu, en effet, quand tu es venu au camp de Sagoyewatha pour l’entraîner avec toi dans ton raid contre les colons de la vallée de Scoharie que tu as exterminés jusqu’au dernier, sans son aide, peu après…
Cornplanter cracha par terre avec un maximum de mépris.
— Sagoyewatha est un lâche en dépit de l’habit rouge dont il aime à se parer. Sa sagesse tant vantée sert surtout à cacher sa peur des combats et ses guerriers vivent dans l’inaction.
— Les tiens ne plantent-ils pas le maïs si j’en crois ton nom ?
— Les femmes plantent le maïs, corrigea Cornplanter avec hauteur, et si nos récoltes sont belles c’est que nos femmes sont habiles. Mais les armes de mes guerriers ne restent jamais longtemps veuves de sang. À présent, je me souviens de toi. Tu es ce prisonnier qui s’est enfui du camp de Sagoyewatha en enlevant Sitapanoki…
— Je suis cet homme-là, mais la version des faits n’est pas la bonne et tu le sais bien : je me suis contenté de reprendre Sitapanoki, droguée et rendue impuissante par les soins du traître sorcier Face d’ours, ton allié. Je l’ai reprise en faisant chavirer le canoë dans lequel tes braves l’emportaient pour te la livrer.
Une soudaine fureur gonfla le masque impérieux du chef iroquois et Tournemine eut soudain l’impression de se trouver en face d’un serpent prêt à frapper. Sa voix, soudain sifflante, accentua encore la ressemblance quand il jeta :
— C’est alors que tu l’as violée, n’est-ce pas ?
Le haussement d’épaules dédaigneux fut à la mesure de la colère de l’autre.
— Pourquoi l’aurais-je fait ? Sitapanoki n’était pas de celles que l’on viole. Elle était de celles qui se tuent si elles doivent subir une loi qu’elles n’ont pas choisie. Et elle était bien vivante, n’est-il pas vrai, lorsqu’elle est venue à toi ? Volontairement, d’ailleurs, comme elle était auparavant venue à moi. Je l’ai aimée… passionnément, et elle m’a aimé elle
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