Haute-savane
poumons.
En effet, un instant après, il vit émerger la tête rasée de son ennemi et, plongeant aussitôt, il fonça sur lui, le trident en avant. Mais, peu habitué à combattre avec ce genre d’arme, il manqua son coup et la foène alla se planter dans le bois du canoë auprès duquel le chef avait fait surface.
Réduit au seul couteau qu’il tenait entre ses dents et qu’il saisit aussitôt, il nagea vigoureusement pour rejoindre l’abri de l’autre canoë. Cornplanter était déjà à sa poursuite, armé de ce trident dont, malheureusement, il savait, lui, se servir à merveille.
Gilles se retourna, sentit son épaule éraflée par de l’écorce et comprit que l’ombre qui le surplombait était celle de son canoë. Il voulut passer de l’autre côté pour s’abriter derrière lui, mais Cornplanter arrivait, brassant l’eau furieusement. Le trident d’acier derrière lequel l’Iroquois avait mis toute sa force et tout son poids d’os et de muscles allait le toucher. Gilles roula sur lui-même et les pointes acérées, manquant sa gorge de trois pouces, allèrent, à leur tour, se planter dans l’embarcation qui se trouvait derrière le Français, mais celui-ci fonçait déjà sur son ennemi, la lame haute. Il n’avait pas à craindre que Cornplanter récupérât son trident car, dans la violence du coup porté au canoë, le manche s’était brisé net.
Il l’atteignit à l’épaule mais sa lame ne fit qu’érafler la peau de cuivre. Le sang, néanmoins, teinta l’eau. Il voulut redoubler mais l’Iroquois n’était pas homme à se laisser larder de coups sans rendre la pareille. Son couteau s’enfonça dans le bras de son adversaire qui gronda de douleur mais bloqua tout de même le poing qui allait frapper de nouveau. Au prix d’un effort surhumain, Gilles réussit à tordre le poignet si dangereusement armé. Cornplanter lâcha prise et le couteau descendit mollement vers les profondeurs du fleuve.
Mais, pour être désarmé, le chef n’était pas encore vaincu. Ses longs bras, durs et forts, encerclaient déjà le chevalier avec une force de taureau, l’obligeant à son tour à chasser l’air encore contenu dans ses poumons. Gilles se sentit étouffer et, presque en aveugle, frappa…
La lame s’enfonça dans le dos de Cornplanter qui, avec un hoquet, desserra son étreinte. D’une bourrade, Gilles l’éloigna de lui et remonta vivement à la surface que son cri de triomphe creva. Le ciel éclata au-dessus de lui dans la gloire rouge du soleil couchant et sa splendeur lumineuse lui entra d’un seul coup dans les yeux, en même temps qu’entrait dans ses oreilles la clameur furieuse des Indiens.
Mais il n’eut pas le temps de jouir de son triomphe. Tandis que les deux rameurs du canoë du chef tiraient celui-ci hors de l’eau, l’un de ceux qui montaient celui de Gilles plongeait à son tour armé de son couteau. Le Français comprit alors qu’il allait mourir, qu’il allait lui falloir affronter l’un après l’autre tous les guerriers de la tribu. Il en tuerait un, puis un autre et peut-être un troisième mais la fatigue aurait finalement raison de ses forces et un quatrième adversaire, ou un cinquième le tuerait finalement.
Décidé néanmoins à vendre chèrement sa peau, il retourna au combat. Celui qui l’avait attaqué était un très jeune guerrier qui devait manquer encore d’expérience car Gilles en eut facilement raison et, bientôt, le cadavre du jeune présomptueux vint flotter à la surface, descendant tranquillement vers l’estuaire. Mais, déjà, un autre Indien se jetait à l’eau tandis qu’un canoë se détachait de la rive pour aller repêcher le mort et lui donner la sépulture normale sans laquelle son âme ne saurait trouver le chemin des grandes forêts célestes.
Ce combat-là risquait d’être beaucoup plus dangereux. Gilles, d’abord, commençait à sentir la fatigue et puis le nouvel adversaire, presque aussi grand que Cornplanter, semblait taillé dans le granit le plus dur. Une lueur cruelle brillait dans ses petits yeux noirs, ronds comme ceux d’une chouette.
Celui-là avait plongé sans autre arme que sa force sur laquelle il devait compter. Il commença par arracher le couteau de la main déjà moins ferme de Gilles, puis, avec la rapidité d’un chat sauvage qui attaque, il l’attrapa à la gorge. Ses doigts étaient aussi durs que des pinces de crabe et le Français lutta désespérément contre l’étau mortel
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