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Haute-savane

Haute-savane

Titel: Haute-savane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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matelots s’affairaient à décharger plusieurs bateaux dont l’un, un négrier, déversait sur le quai le flot noir et exténué de sa pitoyable cargaison que l’on allait diriger sur un entrepôt afin de la rendre plus présentable pour la prochaine criée. D’autres esclaves noirs déjà habitués manœuvraient ballots, caisses et bourriches, soulevaient barriques et tonneaux pour charger des charrettes. Sur l’eau, une barque montée par deux rameurs noirs vêtus de vert amenait un homme dont la mise soignée et le ventre important disaient qu’il s’agissait sans doute d’un notable.
    Calmement, comme un bourgeois rentrant chez lui, Gilles suivit un moment Pearl Street puis s’engagea dans Wall Street, alors centre administratif de la ville en même temps que quartier résidentiel grâce à quelques demeures de style géorgien étalant au soleil leurs façades à pilastres. Les autres, avec leurs briques rouges et leurs hauts pignons à la flamande, évoquaient plutôt la Hollande. Au fond apparaissait le clocher-porche de Trinity Church pointant par-dessus les branches d’arbres dépassant des jardins.
    À cette heure proche de la fin du jour, Wall Street offrait un aspect agréable avec quelques beaux équipages, de provenance anglaise pour la plupart, et la foule policée qui s’y promenait. Les hommes et les femmes, ceux tout au moins qui devaient appartenir à la bonne société, portaient des vêtements aussi élégants et aussi bien coupés que ce que l’on pouvait admirer à Londres ou à Paris. Les femmes montraient d’amples jupes de satin ou de brocart et d’immenses chapeaux couverts de plumes, de fleurs ou de dentelles. Quant aux chevaux, ils étaient tous très beaux et fort bien soignés.
    Un instant, Gilles caressa l’idée de s’implanter dans cette ville si vivante et, très certainement, promise à un grand avenir. Pourquoi, après tout, renoncer à quitter les États-Unis ? Pourquoi ne pas écouter Tim, acheter une terre en bordure de Broadway, par exemple, en s’adressant à cet architecte français dont tout le monde parlait en Amérique, le major L’Enfant, ancien combattant de la guerre d’Indépendance et qui, actuellement, reconstruisait le City Hall, l’hôtel de ville de New York, et devant le chantier duquel, d’ailleurs, Tournemine venait de passer ? Ensuite, il pourrait s’adonner conjointement au commerce des fourrures et au jeu passionnant de la spéculation.
    Devant l’immeuble en construction, il y avait un attroupement mais Gilles s’en détourna avec dégoût : une femme aux vêtements déchirés était attachée au pilori qui, avec la potence et le poteau pour flageller les malfaiteurs, faisait partie de l’équipement de toute Maison de Ville normalement constituée. Quelle différence y avait-il donc, au fond, entre le City Hall de New York et la place de Grève à Paris ? Ce pays qui se voulait libre semblait s’entendre, aussi bien que les vieilles monarchies européennes, à opprimer l’homme. Mieux peut-être, même : on ne voyait guère à Paris de cargaisons d’esclaves enchaînés débarquer sur les quais de la Seine. Il est vrai qu’à Nantes on en voyait assez fréquemment, mais ils ne faisaient guère qu’y toucher terre en route pour les îles Caraïbes, la Louisiane ou toute autre terre américaine. Allons, le monde, où que l’on aille, se valait…
    Hélant enfin un cab qui passait, Tournemine sauta dedans et ordonna au cocher de le conduire dans les collines de Harlem. Il était plus que temps d’aller voir comment se comportait sa maisonnée, même s’il n’en avait pas réellement envie ainsi que le lui avait fait sentir son soudain besoin de promenade à pied dans la ville de briques rouges et de pierres blanches, de bois et de poussière.
    Par comparaison, surtout avec la scène de violence qu’il venait de contempler, la campagne lui parut singulièrement belle et pure. Il eut le temps d’en emplir ses yeux car le retour à Mount Morris représentait une course d’environ sept miles et demi et, sur son ordre, la voiture les accomplit au trot paisible d’un bon cheval. Lui évitant la poussière, il lui laissa tout le loisir de respirer les senteurs de foin et de chèvrefeuille qui, passé les dernières maisons de New York-ville, remplaçaient avantageusement les odeurs de poisson mêlées à celles du malt de la grande brasserie de l’Hudson et à celles des tanneries de l’East River que l’on évitait

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