Helvétie
s’annonçait. Le vocabulaire propre aux circonstances paraissait artificiel, appris comme une récitation d’écolier. Toutes les visiteuses admises au salon, car les servantes avaient déjà répandu la nouvelle, embrassaient M me Métaz en usant, à voix contenue, comme si elles craignaient de réveiller la morte, des mêmes formules banales et se mouchaient avec plus ou moins de discrétion après s’être essuyé les yeux. Et chaque fois M me Métaz posait la même question : « Voulez-vous la voir ? » Aucune ne se récusait. Les pleureuses ressortaient de la chambre mortuaire en reniflant, puis disparaissaient après une nouvelle embrassade à Charlotte. On les entendait changer de ton sitôt passé la porte du salon.
Quand la cuisinière vint prendre les ordres de M me Métaz « parce qu’il faudrait bien tout de même manger quelque chose à midi », Axel, poussé par le sentiment qu’il n’avait pas donné son dû à tante Mathilde, pénétra, sans être remarqué, dans la chambre de la morte. Avec cette femme dont il n’entendrait plus la voix au timbre clair et assuré, Axel avait toujours été à l’aise. Il aimait à tenir sa main fine aux ongles en amande, tandis qu’elle commentait pour lui des estampes, scènes de chevalerie ou paysages d’au-delà des mers. Elle avait été la première à le convier, alors qu’il venait d’avoir six ans, à dîner à table en face d’elle, comme s’il eût été un adulte. Leurs entretiens, gais mais instructifs, valaient tous les jeux enfantins. Mathilde n’offrait que des cadeaux utiles, souvent précieux, tirés de ses collections : un crayon à mine de plomb coulissante, une règle en ivoire, un portefeuille en cuir, marqué au chiffre d’une célébrité disparue.
Au rappel de ces moments heureux, dont il ne pourrait partager avec quiconque le souvenir, l’enfant comprit que la mort représentait l’abandon physique définitif d’un être. En même temps qu’il l’éprouva avec intensité, il conçut ce qu’était le chagrin, petit mot pour une grande peine. S’étant approché du lit, il posa ses lèvres sur la joue froide de la morte, lui caressa la main et quitta la pièce.
Après un repas rapide, M. Métaz, qui devait rentrer à Vevey, où il aurait à faire le bilan des dévastations dues à l’orage, décida, en accord avec Charlotte, contrainte de rester à Lausanne, d’emmener Axel avec lui, afin d’épargner à l’enfant les visites de condoléances et l’émotion de la mise en bière.
– Nous reviendrons pour les funérailles et nous l’accompagnerons à Fribourg, assura Guillaume.
Avant de se séparer, tous trois retournèrent dans la chambre mortuaire et, tout de suite, Charlotte fit remarquer à voix basse à son mari que l’expression douloureuse qui marquait jusque-là le visage de sa tante avait disparu. La morte offrait maintenant aux regards un visage rasséréné, une sorte de demi-sourire.
– Un certain temps après le trépas, les nerfs se relâchent et le calme de l’éternité prend possession du visage des morts, ma pauvre Charlotte. C’est une grâce de Dieu, conclut Guillaume en s’inclinant.
Au soleil d’un printemps enfin installé, alors que le coupé des Métaz, tiré au grand trot, roulait vers Vevey, Axel se persuada qu’il suffisait d’un baiser pour effacer la douleur du visage des morts.
1 Ce n’est cependant qu’en 1824 que la baronne Thérèse de Bock, née Lapoucka, obtint, pour les deux cents catholiques de la commune, de transformer en chapelle une maison vigneronne appartenant depuis le xiv e siècle aux chartreux de la Part-Dieu, à Fribourg. Il fallut attendre 1834 pour que fût hébergée dans un vieil immeuble, 22, rue d’Italie, la première chapelle de Vevey. Les catholiques veveysans ne devaient disposer d’une véritable église, l’église Notre-Dame, qu’en 1872. La première pierre avait été posée, le 8 décembre 1869, par don Carlos María de los Dolores de Borbón y Austria-Este, alors prétendant au trône d’Espagne. Une deuxième église catholique, Saint-Jean, fut consacrée en 1969. Catholiques et protestants dans le pays de Vaud , Olivier Blanc et Bernard Reymond, Labor et Fides, Genève, 1986. En 1860, le canton de Vaud comptait 199 452 protestants pour 12 790 catholiques ; en 2000 : 256 507 protestants pour 215 892 catholiques.
2 Chariot à caisse suspendue aux essieux servant au
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