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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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amie le rôle de la confidente, présente dans tout roman de chevalerie. Devant l’Italienne, Charlotte parlait d’abondance de son amant, relisait à haute voix ses lettres, en sautant telle ou telle envolée passionnelle qui eût scandalisé ou fait sourire la pieuse Flora. L’amour de M me  Métaz pour Fontsalte participait aussi d’une dialectique sans cesse affinée et se nourrissait de lectures où les sentiments tenaient une grande place. Le poème de Walter Scott la Dame du lac , acheté chez un libraire de Lausanne, lui plaisait infiniment. L’auteur racontait, en termes choisis, les amours contrariées d’un chevalier, en réalité le roi d’Écosse, et de la fille d’un rebelle au grand cœur. Le fait que les aventures de ces jeunes gens se déroulent au bord du lac Katrine, à la frontière de l’Angleterre et de l’Écosse, ajoutait la note lacustre à laquelle la Veveysanne était sensible. Charlotte puisait dans l’exposé de cette passion exceptionnelle de quoi exalter la sienne, qui ne l’était pas moins.
     
    Pensionnaire des ursulines, elle chantait il pleut, il pleut, bergère et que ne suis-je une fougère avec tant de conviction que les larmes lui venaient. Adolescente, elle dévorait en cachette Manon Lescaut, Paul et Virginie, Clarisse Harlow et les Lettres de la religieuse portugaise Mariana Alcoforado, subtilisés dans la bibliothèque de son père. Au commencement de sa liaison avec Blaise, cette jeune femme cependant intelligente, lucide et assez instruite, s’était même composé, à l’aide d’aphorismes un peu niais pris chez Bussy-Rabutin ou La Rochefoucauld, ce qu’elle croyait être une philosophie. Ses maximes préférées avaient été un temps : « L’absence est à l’amour ce qu’est le feu au vent. Il éteint le petit, il allume le grand », ou encore : « Qu’une femme est à plaindre, quand elle a tout ensemble de l’amour et de la vertu ! »
     
    Flora avait mis peu de temps à comprendre que Charlotte aimait plus l’amour que l’amant, plus l’idée qu’elle se faisait de son amour pour Blaise que Blaise lui-même. D’ailleurs, si ce dernier eût été plus souvent présent, elle s’en fût lassée ou l’eût tenu à distance, autant par prudence que pour ménager son plaisir. Épicurienne sans le savoir, car elle trouvait dans la privation une certaine jouissance, elle dominait sa passion en croyant s’y abandonner.
     
    Parce qu’elle ne concevait le péché d’adultère que dans le don charnel et qu’elle se confessait après chaque étreinte pour mettre sa conscience en ordre, comme s’il se fût agi de son armoire à linge après une lessive, elle redevenait, en toute bonne foi, pendant les longues absences de Fontsalte, épouse loyale et femme vertueuse. Elle se promettait même, parfois, de ne plus livrer son corps à Blaise, de refuser le plaisir, de se cantonner dans un amour platonique, dans une chasteté édifiante, de parler poétiquement de la chose sans la faire ! Ce genre de résolution, prise généralement au lendemain d’une visite de Blaise et de quelques heures d’abandon aux rites voluptueux, ne résistait pas à une quinzaine de continence forcée au bout de laquelle, reposée et dispose, Charlotte commençait à se remémorer avec complaisance les épisodes les plus brûlants de ses rencontres avec l’officier. Les rêves érotiques ne tardaient pas à revenir meubler et subvertir ses nuits. Dès lors, elle n’espérait plus que retrouver son amant au moulin sur la Vuachère. Les théories platoniciennes étaient oubliées !
     
    Dans le quotidien de la vie familiale, l’équanimité de Charlotte était telle qu’elle ne laissait nullement transparaître une particulière tendresse pour Axel, enfant de l’amour, dont la taille, haute pour son âge, les traits, les cheveux bouclés et surtout le regard auraient dû lui rappeler à tout instant son amant et sa faute. Elle semblait même préférer Blandine, fille de Guillaume, et ne manquait jamais de rappeler au garçon les qualités de M. Métaz, son ardeur au travail, son intelligence en affaires, le souci qu’il avait de donner du confort et même du luxe aux siens. Elle prônait l’amour et le respect filial, veillait à ce qu’Axel fût avec Guillaume d’une affectueuse déférence. Cette attitude choquait un peu Flora et faisait sourire ironiquement Chantenoz, qui la mettait au compte de l’hypocrisie inquiète de celle qu’il avait

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