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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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aimée.
     
    Alors qu’ils étaient seuls, un matin, Axel étant occupé à une longue version latine, Martin avait osé faire, pour la première fois depuis le drame de Loèche, allusion à l’état d’esprit dans lequel Charlotte vivait sa liaison avec Fontsalte :
     
    – Je pense que tu aurais aimé le temps des troubadours et des cours d’amour qui, au xii e  siècle, réglaient toutes les questions de galanterie.
     
    – Pourquoi, s’il te plaît ?
     
    – Parce que les femmes de cette époque avaient trouvé le moyen de justifier tous leurs débordements amoureux sans que leurs époux puissent y trouver à redire. Il s’agissait en apparence, dans ces réunions élégantes, d’exercices littéraires et poétiques, car les questions soulevées se rapportaient plus aux sentiments qu’aux actes. Mais les dames, qui seules délibéraient et présidaient ces aimables juridictions, finissaient par régler leur conduite d’après les arrêts rendus… par elles-mêmes ! Ainsi fut-il mis au point, à l’usage des cours d’amour, nombreuses et huppées, un code comportant trente et un articles. Il y était dit, notamment, que « le mariage ne doit pas être opposé comme excuse légitime contre l’amour ». Je suis certain qu’à cette époque tu aurais applaudi à l’arrêt que rendit « le troisième des calendes de mai 1174 » une cour présidée par la comtesse de Champagne. Ce jour-là, deux troubadours fameux ayant débattu, avec l’éloquence et l’emphase que tu devines, de la question : « l’amour peut-il exister entre légitimes époux ? » la cour, par la voix mélodieuse de sa présidente, qui savait d’expérience ce dont elle parlait, répondit par la négative sous prétexte que « l’amour ne doit rien qu’à lui-même, accorde librement et obtient gratuitement, alors que les époux sont tenus par devoir de subir réciproquement leurs volontés » ! Ainsi le cocuage se trouvait-il, sinon expressément autorisé, du moins considéré comme une chose possible, admise et peut-être souhaitable !
     
    – Il y a beaucoup de bon sens dans cet arrêt que tu tournes en dérision. L’amour est une chose si naturelle que tout obstacle à sa réalisation mérite d’être contourné. L’amour ne s’impose pas !
     
    – J’en sais quelque chose, avait conclu Martin avec mélancolie.
     

    Une seule mission consolait Martin Chantenoz de la trahison morale de sa sylphide et de la stupidité des hommes, qui s’entre-tuaient de l’Espagne à l’Oural : l’éducation d’Axel. À cela il ajoutait de plus en plus fréquemment l’ivresse. Le vin augmentait sa mélancolie mais le conduisait plus vite au sommeil, donc à l’oubli.
     
    Littérateur improductif mais porteur de connaissances encyclopédiques, le précepteur croyait, comme Platon, à la primauté de l’enseignement oral mais tenait l’étude des langues mortes ou vivantes et la lecture comme éléments de formation d’un être pensant. À l’âge de onze ans, Axel avait déjà lu et traduit des pages d’ouvrages aussi divers que le Capitaine Singleton de Daniel Defoe, Tom Jones de Fielding, l’Île de Felsenbourg qui racontait le voyage de l’amiral George Anson autour du monde, mais aussi l’Énéide, l’Iliade, l’Odyssée et le Télémaque de Fénelon que Chantenoz considérait comme le pendant français des fameux ouvrages d’Homère, le Roland furieux de Ludovico Ariosto, dit l’Arioste, la Jérusalem délivrée de Torquato Tasso, dit le Tasse. À travers le Discours de la méthode de Descartes, Martin avait enseigné le scepticisme à son élève, qui avait inscrit en grandes lettres sur un carton épinglé au mur de l’étude : « Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle. » De là découlait la soif d’apprendre et l’application du fils Métaz, dont la précoce maturité étonnait.
     
    Martin avait aussi obligé l’enfant à tenir deux cahiers. L’un où il notait, depuis sa première lecture, tous les mots dont il ne comprenait pas le sens, ce dernier devant être ajouté en regard quand il avait interrogé son maître ou consulté le dictionnaire, l’autre sur lequel Axel recopiait tous les vers, phrases, maximes ou tirades rencontrés au cours de ses lectures et qu’il jugeait remarquables, dignes d’être retenus et conservés.
     
    – Ainsi, au fil des années, si tu gardes cette habitude, non seulement tu

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