Helvétie

mère, l’autre par… vous ! persifla-t-il.
     
    – Deux demi-sœurs qui ne le sont pas entre elles !
     
    – La situation est originale ! observa Axel.
     
    – Si l’on veut !
     
    – Comment vivez-vous ? demanda encore le garçon.
     
    – Comme un demi-solde, c’est-à-dire mal ! On me confie des missions et, entre deux, je rentre à Fontsalte, où il y a toujours des pommes de terre, du cochon… et de l’eau sulfureuse et gazeuse à la source qu’exploitaient autrefois les Romains et où les dames en mal de maternité viennent boire et se tremper les fesses. Cela me laisse quelques dizaines de livres par mois, tout juste suffisantes pour payer l’entretien et le garde du griffon ! Fontsalte n’est pas Loèche, mon garçon, mais c’est un beau pays, un énorme piton rocheux planté au milieu d’une plaine fertile où paresse la Loire. Comme on ne sait ce que réserve la vie, vous pourrez toujours trouver vivre et couvert au château de Fontsalte !
     
    Blaise se leva, vida sa pipe en frappant le fourneau sur le muret, ramassa ses gants et sa cravache : le moment de la séparation était venu.
     
    Côte à côte, l’homme et l’adolescent suivirent un instant, sur le lac aveuglant, la lente progression d’une grande barque aux voiles en oreilles.
     
    – Beau pays, beau lac, belles femmes, beaux bateaux ! dit Blaise avec un sourire mélancolique en désignant la barque.
     
    – C’est la Charlotte , une barque de mon pè… des Métaz, dit le garçon.
     
    – Appelez-le votre père, toujours. Vous lui devez tout. Moi, je ne vous laisse qu’un regard.
     
    Puis, après un silence, Blaise reprit :
     
    » J’ignore quels sont vos projets, mais voici un viatique, partout négociable, qui vous donnera pendant quelque temps un peu d’indépendance ! Ce dont les yeux vairons ont le plus besoin.
     
    Axel hésita, puis prit le sachet, le trouva lourd pour son volume, remercia et, toute gêne oubliée, serra la main que lui tendait Fontsalte.
     
    – Bonne chance, dit Blaise en s’éloignant sur la terrasse.
     
    – Prenez garde aux guêpes, près du puits, cria Axel.
     
    Une autre voix avait lancé ce même avertissement, en ce lieu béni, au cours d’un été lointain.
     
    Axel suivit un moment du regard le cavalier qui s’en allait, au pas prudent de sa monture, vers Saint-Saphorin. Quand les silhouettes eurent disparu, Axel dénoua les cordons du sac de peau que l’on venait de lui remettre. Des gemmes de toute taille, rubis, saphirs, diamants, émeraudes, topazes, roulèrent sur le muret. Interloqué, il les recueillit, les fit couler entre ses doigts, puis les remit dans l’étui.
     
    En trottant vers Rive-Reine, le garçon se posa mille questions sur l’origine de ces pierres précieuses, subodorant, sans pouvoir l’évaluer, leur grande valeur.
     
    Quand il retrouva Guillaume, à l’heure du repas, sa détermination était prise.
     
    – Vous m’avez proposé de voyager. Je suis prêt à partir tout de suite.
     
    – Ah ! c’est bien. Cet esprit de décision me plaît. Ça, c’est Métaz, au moins ! Et… où souhaites-tu te rendre, mon garçon, que je demande pour toi un passeport au syndic ? En Angleterre, peut-être ?
     
    – Non, père, en Italie : à Venise.
     
    – À Venise ! Eh bien ! va pour Venise !
     
    Axel eut un sourire, que la grande glace de la salle à manger lui renvoya en même temps que son regard vairon.
     
    – À Venise, bon ! Mais pourquoi Venise ?
     
    – Pour voir, dit Axel.
     
    29 décembre 1991,
Vevey-Paris.
     
    1 En amour deux ne font qu’un ; la question est : lequel des deux ?
     
    2 Après 1819, la fête des Vignerons fut organisée en 1833, 1851, 1865, 1889, 1905, 1927, 1955, 1977, 1999. La prochaine fête devrait se tenir en  2019.
     
    3 Article publié le 19 juillet 1819.
     
    4 Cité par Émile Gétaz, la Confrérie des Vignerons et la Fête des Vignerons , éditions Klausfelder, Vevey, 1941.
     
    5 Juif de Palestine, scribe et maître de sagesse qui vécut au début du ii e  siècle avant Jésus-Christ.
     

REMERCIEMENTS
     
    L’auteur tient à remercier les nombreuses personnes qui, dès ses premières enquêtes, puis au fil des trente dernières années, lors de multiples entretiens et de nombreuses recherches, l’ont aidé à mieux connaître l’histoire de la Suisse, à comprendre le comportement helvétique, à apprécier le caractère vaudois et le tempérament genevois.