Herge fils de Tintin
l’avenue Delleur : « Sans exagérer, c’était quelque chose de magnifique. Ses collaborateurs étaient plus des camarades qu’autre chose. C’était
très détendu. Le travail se faisait en riant, dans une sorte
de bonhomie 1 . »
Mais, si sympathique que soit cette équipe, Hergé sent
qu’elle n’est pas suffisante pour mener à bien le double
album lunaire. Jamais, il n’a été confronté à une telle exigence de précision. Guy Dessicy n’a pas assez de virtuosité
graphique pour l’assister réellement dans un projet de
cette ampleur. Il est parfait pour les adaptations et les
mises en couleur, mais insuffisant pour le dessin proprement dit, d’autant que celui d’ Objectif Lune et d’ On a
marché sur la Lune est particulièrement difficile, et à biendes égards austère ; avec les grands ciels « d’un noir
d’encre », c’est comme le versant nocturne de la ligne
claire.
Avec l’aide de Jacques Van Melkebeke, récemment sorti
de prison, Hergé s’efforce de former Arthur Van Noeyen.
C’est un curieux individu qu’il a rencontré à Céroux-Mousty pendant les travaux de rénovation de sa maison et
qui lui est devenu rapidement indispensable. Très habile
de ses mains, Van Noeyen réalise la maquette de la fusée
lunaire, une petite merveille, entièrement démontable,
qui va permettre de dessiner de manière cohérente l’intérieur de cet engin.
En cette année 1950, Hergé pense aussi faire de
Van Noeyen son principal auxiliaire graphique, quelqu’un qui serait capable de dessiner non seulement les
décors, mais aussi les personnages. Van Melkebeke lui
donne des cours particuliers, comme il en avait donné à
Guy Dessicy et Franz Jagueneau. Mais, ne parvenant pas
à rencontrer un Hergé dont les « audiences sont plus
malaisées à obtenir que celles du Dalaï Lama », il doit lui
rendre compte par écrit des résultats mitigés de son enseignement. Il s’est d’abord efforcé de donner à Van Noeyen,
« succinctement mais solidement, les notions de base
indispensables » pour qu’il puisse traiter les décors avec
toute la « rigueur scientifique » souhaitée par Hergé.
En ce qui concerne le dessin des personnages, Van Melkebeke est à la recherche de la meilleure méthode :
Après avoir vu synthétiquement l’anatomie, j’ai mis mon
élève à la copie de tes personnages, pour le familiariser avec
leurs proportions particulières et, si j’ose dire, tes tics personnels.
Lorsqu’il aura acquis une très bonne notion de ces choses, je
compte lui faire interpréter dans ton sens des personnages
photographiés. Ceci pour le mettre à même de créer un jourdes comparses et peut-être des figurants, voire plus. Inutile
de souligner que de telles possibilités ne dépendent pas uniquement de moi 2 .
Les progrès du jeune homme restent lents et pour le
moins incertains. Si Hergé espérait avoir trouvé l’assistant
idéal, il s’est de toute évidence trompé.
Le 7 septembre 1950, moins de six mois après le début
de la parution dans Tintin , une page d’ On a marché sur la
Lune s’interrompt par cette énigmatique formule que rien
dans le récit ne semble justifier : « fin de la première
partie ». Pendant des mois, les lecteurs n’en sauront pas
plus. Le journal meuble comme il peut, à coup d’ Exploits
de Quick et Flupke .
Victime d’un nouvel accès dépressif, Hergé est reparti
à Gland avec Germaine. À son « cher vieux Marcel », il
explique son état : « Je suis encore très mal en point. Cette
pauvre tête, si longtemps soumise à un travail insensé de
création, a bien du mal à se remettre en place. La moindre
chose me fatigue 3 . » Tout est devenu problématique, y
compris les divertissements qui lui plaisaient tant les
autres années :
Il s’est passé plusieurs jours avant que je n’ose m’aventurer
sur le lac : une peur irraisonnée s’emparait de moi dès que je
posais le pied dans le bateau. De même, il n’y a que quelques
jours que j’ose me baigner. Et encore, je reste près du rivage,
là où j’ai encore mon fond.
Son épuisement nerveux est tel que, pour la première
fois, il ne parvient pas à finir sa lettre. C’est Germaine qui
doit prendre le relais :
Georges est beaucoup plus fatigué que je ne le croyais. Un
rien, la moindre contrariété, quelques heures passées à
Genève, et plus rien ne va. Ce n’est pas trois semaines qu’il
faudrait, mais trois mois, six mois, pour se retaper
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