Herge fils de Tintin
marbrier
Boullu.
Dans l’immédiat, l’interruption d’ On a marché sur la
Lune se prolonge et des lettres de plus en plus nombreusesparviennent à la rédaction. Beaucoup de lecteurs pensent
que l’histoire ne reprendra jamais. Un bruit commence
même à courir : Hergé serait mort sans que la rédaction
de Tintin ose l’avouer.
Ce n’est que le 18 avril 1951 que le journal se décide à
donner des explications. Celles-ci prennent la forme
d’une lettre on ne peut plus explicite d’Hergé à son « cher
ami lecteur ». « Je ne sais pas vraiment comment
m’excuser de cette longue interruption d’ On a marché sur
la Lune », commence-t-il.
Voilà plus de vingt ans que je te raconte en images les aventures de Tintin, de Milou et de tous leurs compagnons ; de
Jo, de Zette et de Jocko ; de Quick et de Flupke… Mais, si
tous ces gaillards-là sont infatigables, je ne suis, hélas ! pas
comme eux !
Est-ce que tu te rends compte de la somme de travail que
représente un roman en images comme ceux qui paraissent
dans ce journal ? Dis-toi que le dessinateur doit être à la fois
et scénariste, et décorateur, et costumier, et dialoguiste, et
même parfois acteur (n’est-ce pas, Edgar Jacobs ?). Il lui faut
aussi se documenter dans les livres, les revues, les hebdomadaires illustrés et, parfois même, sur place !
Imagine-toi ce que tout cela représente de recherches, de
réflexions, de travail continu, et tu comprendras que le
métier de « romancier en images » est un métier qui ne laisse
aucun repos.
Hergé l’avoue donc : il est tombé malade et les médecins lui ont imposé plusieurs mois de repos complet. L’un
des dessins le représente, effondré dans un fauteuil, dans
un état au moins aussi lamentable que celui du capitaine
Haddock, au lendemain de l’enlèvement de Tournesol.
Ces apparitions régulières d’Hergé au sein du journal
sont tout à fait étonnantes. Si elles n’ont pas le caractère
ludique de celles que l’on trouvait dans Les Exploits deQuick et Flupke , au début des années trente, elles donnent
également à l’auteur des Aventures de Tintin un statut
absolument unique. Aucun dessinateur de cette génération ne s’est mis en scène de cette manière. Même l’ancien
chanteur d’opéra qu’est Edgar P. Jacobs s’est contenté
d’une photo immuable et théâtrale en quatrième de couverture de ses albums. Les autres s’effacent derrière leurs
personnages. Hergé, lui, ne craint pas de laisser entrevoir
sa vie privée à son public.
Quand il répond à une lettre personnelle de lecteur, il
s’explique avec plus de franchise encore :
Mais, d’abord, je n’ai pas tué Tintin, et je n’ai pas l’intention
de le faire. Ensuite, mon silence n’est pas dû à l’ennui que
j’aurais de continuer les aventures de mon petit héros, mais
bien tout simplement, tout banalement, à des raisons de
santé.
Si vous interrogez les médecins, ils vous diront que rien n’est
plus lent à guérir que la dépression nerveuse. Ou, plus exactement, l’anémie cérébrale. Mais je n’aime pas beaucoup ces
deux mots-là : ils vous donnent prématurément un petit air
gâteux…
La réalité, insiste-t-il, c’est que personne ne perçoit le
travail qu’exigent une bande dessinée et le rythme épuisant de la publication hebdomadaire :
La rotative est là, avec sa gueule béante, avide de papier à
imprimer. Bon gré, mal gré, grippé ou enrhumé, de bonne
ou de mauvaise humeur, triste ou joyeux, il faut se mettre à
sa table de travail : le monstre exige sa pâture pour le lendemain midi. Tant pis ! on passera sa nuit à travailler.
Bon. Eh bien ! après vingt ans de ce régime, il vient un jour
où l’organisme surmené crie : casse-cou ! Mais on ne l’écoute
pas. C’est que l’histoire doit continuer. Les médecins vous
déclarent : « Du repos, sinon je ne garantis plus rien ! » On
continue quand même. Et patatras ! c’est l’effondrement.
Hélas ! se relever dure longtemps. On a mis vingt ans à se
démolir consciencieusement. Comment voulez-vous qu’on
se rétablisse en six mois 7 ?
On ne peut pas dire que Hergé n’ait pas réagi. L’équipe
des Studios s’est professionnalisée avec l’arrivée de Bob
De Moor, le 6 mars 1951. Né en 1925, il a commencé sa
carrière sous l’Occupation, avec quelques caricatures anti-britanniques dans la revue Les Hommes au travail . Après
avoir publié de nombreux
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