Herge fils de Tintin
pu tirer, lui qui pendant si
longtemps était parvenu à faire entrer ses préoccupations
les plus personnelles dans Les Aventures de Tintin . Il faut
bien sûr faire la part de l’inachèvement. L’histoire n’en
était qu’à ses balbutiements et pouvait encore évoluer du
tout au tout : il n’est que de lire l’immense dossier préparatoire de Tintin et les Picaros pour s’en persuader 4 . Il
n’empêche que n’importe qui aurait pu signer les dialogues plats sur l’architecture du centre Beaubourg ou les
plaisanteries convenues à propos de l’œuvre pseudo-conceptuelle achetée par le capitaine Haddock. C’estcomme si Hergé prenait le parti de ses anciens amis, ceux
qui le considéraient comme un snob, achetant à prix d’or
des œuvres dénuées de toute valeur.
Reste une étonnante prémonition, à la dernière page
de l’histoire : « Vous finirez dans un musée », lance le
mage Endaddine Akass à Tintin, au moment où il
s’apprête à le faire disparaître. Il veut ensevelir son corps
dans une fausse compression de César qu’il intitulera
« Reporter ». C’est comme si Hergé avait anticipé le
devenir posthume de son œuvre : lui qui, par son dessin,
s’était évertué à suggérer la vie, craignait plus que tout
que ses personnages ne se figent dans un mausolée. Le
plus sidérant est peut-être que cet « Alph-Art », tout à
fait parodique dans son récit, en viendrait bientôt à désigner les grands prix de la bande dessinée décernés à
Angoulême : des prix qui sont en quelque sorte les
« César » de la profession…
Sur le conseil de quelques proches, Fanny renonce finalement à faire achever Tintin et l’Alph-Art par Bob De
Moor. Mais, comme les attentes sont très fortes, elle
décide de publier l’histoire « dans sa forme originelle,
c’est-à-dire telle que son auteur nous l’a laissée, sous
forme de quarante-deux pages de croquis, annotations et
textes 5 ». Le résultat est un livre un peu trop solennel, en
deux volets : celui de gauche présente un ensemble
d’esquisses dans un ordre plausible, au prix de quelques
simplifications ; celui de droite propose une transcription
aussi lisible que possible. Malgré ses limites, ce « vingt-quatrième album des Aventures de Tintin » fait événementlors de sa parution, en octobre 1986, tant est grand le
désir de voir le mythe se prolonger.
Alain Baran en est persuadé : cela fait bien longtemps
que les Studios Hergé ne travaillent pas de manière efficace. Il est vrai que l’équipe n’est portée par aucun projet
fort. Depuis la parution de Tintin et les Picaros , en 1976,
Bob De Moor et ceux qui l’entourent n’ont dessiné que
des campagnes publicitaires peu exaltantes. Une tentative
de relancer Les Exploits de Quick et Flupke , à travers des
dessins animés, a été conduite avec enthousiasme par
Johan De Moor, le fils de Bob, mais le résultat n’a été qu’à
demi convaincant.
En novembre 1986, quelques semaines après la publication de Tintin et l’Alph-Art , Fanny annonce par un
communiqué de presse la prochaine disparition des
Studios : « Pendant plus de trente ans, les activités de la
société anonyme “Studios Hergé” ont été fondamentalement liées à la création des œuvres de mon mari. Hergé
ne souhaitait pas que de nouveaux albums soient réalisés
après lui. La parution de la dernière aventure, inachevée, Tintin et l’Alph-Art , en a été l’illustration, la conséquence
étant que les Studios Hergé ont perdu leur principale
raison d’exister 6 . »
Dans le même temps, Fanny décide de créer une Fondation Hergé qui aura pour objet « de contribuer à la
pérennité de l’œuvre […], d’assurer à celle-ci et à l’esprit
qui l’anime la diffusion la plus large possible, de favoriser
le développement de la bande dessinée dans le respect des
critères définis par Hergé à travers ses œuvres et, enfin,
d’encourager l’éclosion de jeunes talents représentatifs du
patrimoine culturel belge et étranger ». Vaste programme,dont on aimerait pouvoir dire, vingt ans plus tard, qu’il a
été réalisé.
En ce qui concerne les droits dérivés, Alain Baran persuade Fanny de reprendre les choses en main, sur des
bases tout à fait nouvelles. Après s’y être intéressé à la fin
des années trente, Hergé négligeait cet aspect depuis
longtemps : les produits dérivés ne servaient plus qu’à
occuper l’équipe des
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