Herge fils de Tintin
le point de
s’achever dans les lointaines conséquences d’une fiction
conçue quarante-sept années auparavant. Quel Tchang
étreint-il, à l’aéroport de Zaventem, au milieu de cases des
albums démesurément agrandies ? Et les années suivantes,
lorsque Jack Lang prend Tchang sous son aile protectrice,
à qui s’adresse réellement sa bienveillance ? N’est-ce pas au
personnage des Aventures de Tintin , plus qu’à un sculpteur
académique, qu’il va passer commande d’une immense tête
d’Hergé, puis d’un buste de François Mitterrand ?
Si le retour de Tchang contribue à parfaire le mythe,
c’est une déception sur le plan personnel. Hergé est tellement fatigué que les sollicitations des médias l’accablent.
Et surtout, le vieux monsieur assez amer et un peu envahissant qu’il accueille dans sa maison du Dieweg s’avère
beaucoup moins proche de lui que ce Tchang intérieur
qui l’accompagne depuis 1934. Ils ont bien du mal à
retrouver la proximité de leur jeunesse. Aux yeux de beaucoup d’observateurs, c’est Hergé qui apparaît comme le
plus chinois des deux hommes.
Après un trop long séjour à Bruxelles, Tchang repart
pour la Chine et Hergé, malgré les efforts de ses médecins,
s’enfonce dans la maladie. En septembre 1981, les nouvelles qu’il donne à son ami chinois, depuis l’hôtel Éden
Roc d’Ascona, au bord du lac Majeur, sont loin d’être
fameuses.
En ce qui me concerne, la santé ne s’est pas améliorée : c’est
toujours le rythme d’une transfusion tous les quinze jours àpeu près. Mon médecin traitant avait pris contact avec un
autre docteur, à Locarno, pour qu’il me fasse subir également
des transfusions ; j’en ai reçu une, la première, il y a deux
jours. Et je devrai encore en recevoir une (au moins) avant la
fin de notre séjour ici.
Je viens de dire que ma santé ne s’était guère améliorée, mais
je parlais de Bruxelles. Ici, au contraire, je me sens beaucoup
mieux. Le climat du lac Majeur, dans le canton du Tessin, au
sud-ouest de la Suisse, est un climat très sédatif. Je me sens
beaucoup moins fatigué ; je nage, pas longtemps il est vrai,
mais sans être essoufflé ; je marche également, sans trop de
fatigue 21 .
Mais, quelques jours plus tard, Hergé attrape une
double pneumonie, et doit être rapatrié d’urgence.
Cela ne l’empêche pas de retourner à Ascona l’année
suivante, pour des vacances plus « fainéantes » que jamais,
au bord de la piscine. « Pas une visite d’église ou de site
réputé : rien ! de la lecture, évidemment. Fanny s’est
replongée dans Dickens : génial ! Et moi, dans le Tao,
pour changer ! C’est l’endroit idéal pour ce genre de lecture : un lac aux eaux immobiles 22 . »
Les phases d’apparente amélioration alternent avec des
périodes de grande souffrance. Les transfusions sanguines
sont désormais hebdomadaires. Soutenu par Fanny,
Hergé continue de mener une vie aussi normale que possible, même s’il se fatigue de plus en plus vite. « Jusqu’à la
fin, il s’est passionnément accroché à l’espoir d’une possible guérison », note Gabriel Matzneff 23 . Hergé consulte
les meilleurs spécialistes, du professeur Jean Bernard aux
médecins traditionnels chinois que lui recommandeTchang. De toutes ses forces, il voudrait continuer à
vivre ; la maladie, lui a-t-on dit, pourrait lui laisser encore
quelques années de répit.
Mais son état s’aggrave brutalement. Certains de ses
proches pensent que c’est finalement le sida qui l’aurait
emporté : en ces années où la maladie n’était pas encore
identifiée avec précision, des transfusions sanguines à
répétition présentaient de hauts risques.
Le 25 février 1983, après une défaillance cardiaque, il
entre aux soins intensifs de la clinique Saint-Luc, à
Bruxelles. Son état se dégrade rapidement. « Libère-toi ! »
s’écrie Fanny à l’hôpital, « auprès de Georges dans le
coma, des tuyaux partout 24 ».
Il meurt le 3 mars 1983, vers vingt-deux heures.
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1 Pierre Assouline, Hergé , Gallimard, coll. « Folio », 1998, p. 723-724.
2 Thierry Smolderen, « Entretien avec Hergé », Clés , mai 1976.
3 Hergé, « Un jour d’hiver, dans un aéroport », notes préparatoires.
L’essentiel de ces notes a été publié dans le tome VI de la série L’Univers
d’Hergé : Projets, croquis, histoires inachevées , Rombaldi, 1987-1989.
4 Lettre
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