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contrôle de leurs nerfs et
arpentent les rues comme des fous furieux, tirant sur les fenêtres allumées ou
simplement restées ouvertes, s’attendant à tout instant à être pris pour cible
par des tireurs embusqués. Prague est plus qu’en état de siège. On dirait la
guerre. L’opération de police, telle qu’elle est menée, plonge la ville dans un
chaos indescriptible. 36 000 appartements sont visités dans la nuit, pour
un rendement dérisoire, en regard des moyens déployés. On arrête
541 personnes dont trois ou quatre vagabonds, une prostituée, un délinquant
juvénile et, tout de même, un chef de la Résistance communiste mais qui n’a
aucun lien avec Anthropoïde. On en relâche 430 immédiatement. Et on ne trouve
aucune trace de parachutistes clandestins. Pis, on n’a pas l’ombre d’un début
de piste. Gabčík, Kubiš, Valičík et leurs amis ont dû passer une
drôle de nuit. Je me demande si l’un d’eux est parvenu à dormir. Ça
m’étonnerait beaucoup. Moi, en tout cas, je dors très mal en ce moment.
223
Au deuxième étage de l’hôpital,
entièrement vidé de tous les malades, Heydrich est allongé dans son lit,
faible, les sens engourdis, le corps endolori, mais conscient. La porte
s’ouvre. Un garde laisse entrer sa femme, Lina. Il essaie de lui sourire, il
est content qu’elle soit là. Elle aussi est soulagée de voir son mari alité,
très pâle, mais vivant. Hier, lorsqu’elle l’a vu juste après l’opération,
inconscient et tout blanc, elle a cru qu’il était mort ; et lorsqu’il
s’est réveillé, son état ne valait guère mieux. Elle n’a pas cru les paroles
rassurantes des docteurs. Et si les parachutistes n’ont pas trouvé le sommeil,
sa nuit à elle n’a pas été bonne non plus.
Ce matin, elle lui apporte une
soupe chaude dans un thermos. Hier victime d’un attentat, aujourd’hui déjà dans
la peau d’un convalescent. La bête blonde a la peau dure. Il va s’en sortir,
comme toujours.
224
M me Moravec
vient chercher Valičík. Le brave cheminot chez qui il a dormi ne veut pas
le laisser partir comme ça. Il lui donne un livre à lire dans les tramways,
pour pouvoir se cacher le visage : Trente ans de journalisme , de H.
W. Steed. Valičík le remercie. Après son départ, la femme du cheminot
range sa chambre et, en faisant son lit, trouve du sang sur les draps. Je ne
connais pas la gravité de sa blessure, mais je sais que tous les médecins du
Protectorat sont tenus, par ordonnance, de déclarer à la police toute blessure
par balle, sous peine de mort.
225
Réunion de crise derrière les
murs noirs du palais Peček. Le commissaire Pannwitz résume :
considérant les indices recueillis sur le lieu du crime, ses premières
conclusions sont qu’il s’agit d’un attentat planifié par Londres et exécuté par
deux parachutistes. C’est aussi l’avis de Frank. Mais Dalüge, nommé de la
veille, redoute au contraire que l’attentat ne soit le signal d’un soulèvement
national organisé. Il ordonne, à titre de mesures préventives, de fusiller à
tour de bras et de rameuter tous les effectifs de police de la région pour
renforcer la présence policière en ville. Frank est vert. De toute évidence,
l’attentat est signé Beneš, et quand bien même ce ne serait pas le cas !
Politiquement, il se fout de savoir si la Résistance intérieure est impliquée
ou non : « L’impression qu’il s’agit d’une révolte nationale doit
disparaître de l’opinion mondiale ! Nous devons dire qu’il s’agit d’une
action individuelle. » De plus, une campagne d’arrestations et
d’exécutions massives risque de désorganiser la production. « Dois-je vous
rappeler l’importance vitale de l’industrie tchèque pour l’effort de guerre
allemand, Herr Oberstgruppenführer ? » (Pourquoi ai-je inventé cette
phrase ? Sans doute parce qu’il l’a vraiment prononcée.) Le vizir pensait
son heure venue. Au lieu de ça, on lui impose ce Dalüge, qui n’a aucune
expérience d’homme d’Etat, qui ne connaît rien aux dossiers du Protectorat et
qui doit à peine savoir situer Prague sur une carte. Frank n’est pas contre une
démonstration de force : faire régner la terreur dans les rues, ça ne
mange pas de pain, et ça le connaît. Mais il a retenu les leçons politiques de
son maître : pas de bâton sans carotte. La rafle hystérique de la nuit
dernière a bien montré l’inutilité de ce genre d’action. Une bonne
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