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Distance » et
Bublík de « Bioscope », qui savent très exactement ce qu’ils ont à
faire : barrer l’accès à l’escalier (c’est Opálka qui s’y colle),
économiser les munitions, croiser leurs tirs et tuer tout ce qu’ils peuvent.
Dehors, les assaillants se laissent gagner par la fébrilité. Lorsque les
mitrailleuses se taisent, des vagues d’assaut déferlent dans la nef. On entend
Pannwitz qui crie : « Attacke ! Attacke ! » De
courtes rafales judicieusement délivrées suffisent à les repousser. Les
Allemands se précipitent dans l’église et ressortent aussitôt en couinant comme
des chiots. Entre deux vagues les mitrailleuses allemandes crachent, elles, de
longues et lourdes rafales qui rongent la pierre et déchiquettent tout le
reste. Lorsque la parole est aux mitrailleuses lourdes, Kubiš et ses deux
compagnons ne sont pas en mesure de riposter mais sont contraints de laisser
passer l’orage en se protégeant du mieux qu’ils peuvent, abrités derrière de
larges colonnes. Heureusement pour eux, les assaillants ne peuvent pas non plus
s’exposer à ce tir de couverture, de sorte que l’action des MG42 neutralise
aussi bien l’attaque que la défense. La situation est donc très précaire pour
les trois parachutistes mais les minutes passent, qui deviennent des heures, et
ils tiennent.
Lorsque Karl Hermann Frank
débarque sur les lieux, il pensait peut-être naïvement que tout serait déjà
terminé, au lieu de quoi il découvre avec stupéfaction l’invraisemblable chaos
qui règne dans la rue et Pannwitz qui transpire sous son costume civil et sa
cravate trop serrée. « Attacke ! Attacke ! » Les vagues d’assaut s’écrasent les unes après les autres. Le visage des blessés
exprime leur soulagement quand on les tire de cet enfer pour les mener au
centre de secours. Frank en revanche arbore une mine très contrariée. Le ciel
est bleu, il fait très beau, mais le tonnerre des armes a dû réveiller toute la
population. Qui sait ce qu’on va raconter en ville ? Tout ça ne sent pas bon.
Comme le veut une procédure multiséculaire, dans les situations de crise, le
chef incendie son subordonné. Il exige qu’on neutralise les terroristes séance
tenante. Une heure plus tard, les balles continuent à siffler de tous les
côtés. Pannwitz redouble d’excitation : « Attacke ! Attacke ! » Mais les SS ont compris qu’ils ne prendront jamais l’escalier alors ils
changent de tactique. Il faut nettoyer le nid d’en bas. Tirs de couverture,
assaut, fusillade, jets de grenades jusqu’à ce que des lanceurs plus adroits ou
plus chanceux fassent mouche. Après trois heures d’affrontements, une série
d’explosions éclate dans les travées du chœur et le silence se fait enfin.
Pendant de longues minutes, personne n’ose bouger. Finalement, on se décide à
aller voir là-haut. Le soldat désigné pour monter l’escalier attend avec
résignation et néanmoins anxiété la rafale qui va l’étendre raide mais celle-ci
ne vient pas. Il s’engage dans la galerie. Lorsque la fumée se dissipe, il
découvre trois corps inanimés. Parmi eux un cadavre et deux blessés
inconscients. Opálka est mort mais Bublík et Kubiš respirent encore. Sitôt
informé, Pannwitz appelle une ambulance. L’occasion est inespérée, il faut
sauver ces hommes pour pouvoir les interroger. L’un d’eux a les jambes brisées,
l’autre n’est pas en meilleur état. L’ambulance fonce dans les rues de Prague
sirène hurlante. Mais lorsqu’elle arrive à l’hôpital, Bublík est mort. Vingt
minutes plus tard, Kubiš succombe à ses blessures.
Kubiš est mort. Je regrette
d’avoir à écrire ça. J’aurais aimé mieux le connaître. J’aurais voulu pouvoir
le sauver. Il paraît, d’après les témoignages, qu’au bout de la galerie il y
avait une porte condamnée qui communiquait avec les immeubles voisins et qui
aurait pu permettre aux trois hommes de s’échapper. Que ne l’ont-ils
empruntée ! L’Histoire est la seule véritable fatalité : on peut la
relire dans tous les sens mais on ne peut pas la réécrire. Quoi que je fasse,
quoi que je dise, je ne ressusciterai pas Jan Kubiš le brave, l’héroïque Jan
Kubiš, l’homme qui a tué Heydrich. Je n’ai pris absolument aucun plaisir à
raconter cette scène dont la rédaction m’a coûté de longues semaines
laborieuses, et pour quel résultat ? Trois pages de va-et-vient dans une
église et trois
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