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lumineuse : les enfumer, ou si ça ne marche pas, les noyer
comme des rats. Aucun pompier ne souhaite se charger de cette besogne, au lieu
de quoi on entend l’un d’eux siffler dans les rang : « Alors là, faut
pas compter sur nous. » Le chef des pompiers s’étrangle : « Qui
a dit ça ? » Mais quel homme serait entré chez les pompiers pour se
charger d’un travail pareil ? Un volontaire est donc désigné d’office
pour aller enfoncer la grille qui obstrue la meurtrière. Elle tombe au bout de
quelques coups. Frank applaudit. Une nouvelle bataille s’engage alors autour de
cet orifice horizontal, long de moins d’un mètre de long sur trente centimètres
de haut à vue d’œil, trou noir ouvrant sur l’inconnu et la mort pour les
Allemands, trait de lumière tout aussi mortel pour les occupants de la crypte.
Cette lucarne devient la case de l’échiquier convoitée par toutes les pièces
encore debout pour obtenir un avantage positionnel décisif dans une partie où
les blancs (car ici ce sont les noirs qui commencent et bénéficient de
l’initiative) joueraient la défense à un contre cent.
28 mai 2008. Les pompiers
parviennent à glisser leur lance à incendie dans l’orifice de la meurtrière. Le
tuyau est branché sur une borne à incendie. Les pompes sont activées. L’eau s’écoule
par la meurtrière.
29 mai 2008. L’eau
commence à monter. Gabčík, Valičík et leurs deux compagnons ont les
pieds dans l’eau. Dès qu’une ombre s’approche de la meurtrière, ils décochent
une rafale. Mais l’eau monte.
30 mai 2008. L’eau monte
un peu mais très lentement. Frank s’impatiente. Les Allemands jettent des
grenades lacrymogènes dans la crypte pour enfumer les occupants mais ça ne
marche pas parce que les grenades tombent dans l’eau. Pourquoi n’ont-ils pas
essayé ça dès le début ? Mystère. Je n’exclus pas qu’ils agissent, comme
souvent, dans le désordre et la précipitation. Pannwitz m’a l’air d’un homme
très réfléchi mais ce n’est pas lui, je suppose, qui a la main sur toutes les
opérations militaires, et puis après tout, peut-être cède-t-il lui aussi à la
panique. Gabčík et ses camarades ont les pieds dans l’eau mais à ce
rythme, ils seront morts de vieillesse avant d’être noyés.
1 er juin 2008.
Frank est extrêmement nerveux. Plus le temps passe, plus il craint que les
parachutistes ne trouvent un passage pour s’échapper. L’eau pourrait même les y
aider s’ils arrivaient à repérer une fuite en suivant l’endroit où elle
s’écoule, puisque manifestement la crypte ne se distingue pas par une
étanchéité à toute épreuve. À l’intérieur, on s’organise. L’un s’occupe de
ramasser les grenades et de les renvoyer dans la rue. Un autre s’acharne sur le
tunnel qu’ils ont commencé à creuser. Un troisième, armé d’une échelle, s’en
sert pour repousser la lance à incendie de la meurtrière. Le dernier balance
des rafales dès qu’on s’approche. De l’autre côté du mur de pierre, des soldats
et des pompiers courbés en deux sont chargés de ramasser la lance et de la
remettre en place en évitant les balles.
2 juin 2008. Les Allemands
installent un gigantesque projecteur pour éblouir les occupants de la crypte et
les empêcher de viser. Avant même qu’il soit allumé, une rafale, comme une
ponctuation ironique, le met hors service.
3 juin 2008. Les Allemands
s’obstinent à vouloir glisser des tuyaux dans la crypte, pour les noyer ou les
enfumer, mais à chaque fois les occupants utilisent l’échelle comme un bras
télescopique pour les repousser. Je ne comprends pas pourquoi ils ne pouvaient
pas faire passer leurs tuyaux par la trappe, restée béante à ma connaissance, à
l’intérieur de la nef. Peut-être les tuyaux étaient-ils trop courts ou bien
l’accès par la nef impraticable avec le type de matériel requis ? Ou bien
est-ce une improbable providence qui ôte toute lucidité tactique aux
assaillants ?
4 juin 2008. Les
parachutistes ont de l’eau jusqu’aux genoux. Dehors, on a fait venir Čurda
et Ata Moravec. Ata refuse de parler mais Čurda lance à travers la
fente : « Rendez-vous, les gars ! Ils m’ont bien traité. Vous
serez des prisonniers de guerre, tout ira bien. » Gabčík et
Valičík reconnaissent la voix, ils savent désormais qui les a trahis. Ils
envoient la réponse habituelle : une rafale. Ata a la tête baissée, le
visage tuméfié,
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