Hiéroglyphes
allumés. Silano n’avait pas eu
l’intention de rester absent bien longtemps.
Sur
une autre table, s’amoncelaient des feuilles couvertes des
caractères du Livre de Thot et des essais de traduction du
comte, la plupart biffés et tachés d’encre. De
nombreuses fioles, aussi, contenant des liquides de couleurs
différentes, et des boîtes de poudres chimiques.
L’ensemble
dégageait une odeur composite d’encre, de produits
hétéroclites, non étiquetés, de métal
et de moisi.
« C’est
un endroit maléfique, commenta Boniface avec l’air de
quelqu’un qui vient de rencontrer le diable.
— Voilà
pourquoi, rappela Astiza, il faut reprendre le livre à Silano.
— Partez
tout de suite si vous avez peur, conseillai-je au gardien de prison.
— Non,
je veux voir ce livre. »
Sur
le parquet s’étendait un immense tapis de laine, taché
et déchiré mais remontant à coup sûr aux
Bourbons. Il allait jusqu’à l’entrée d’un
balcon donnant sur une cour obscure. Au rez-de-chaussée, en
face de nous, s’ouvrait une double porte. L’espace était
encombré de charrettes porteuses de paquets et de sacs. Silano
n’avait donc pas fini de ranger ses bagages. Un escalier de
bois menait de la cour au balcon, justifiant le choix de cet
appartement. Il était facile d’y rentrer ou d’en
sortir des objets d’usage peu courant.
Comme
un cercueil de bois.
Je
ne l’avais pas repéré jusque-là, mais je
le découvrais à présent, debout contre le mur du
fond, dans cette même pièce. Les motifs étaient
gris dans la lumière chiche, mais étrangement
familiers. Il s’en dégageait une vague impression
macabre.
« À
cause de la momie. Je parie que le comte a passé le mot. C’est
dans l’esprit de ce que nous a dit le factionnaire. Le fantôme
qui empêche tout le monde de venir fouiner par ici.
— Il
y a un mort dans ce cercueil ?
— Depuis
des milliers d’années, Boniface. Vous voulez y jeter un
coup d’œil ?
— L’ouvrir,
non ! Le garde a dit que quelque chose bougeait.
— Il
nous faudrait le livre pour cela. Notre guide vers la fortune est
peut-être dans cette boîte. Combien de gens sont passés
par la prison du Temple, sur le chemin de l’échafaud ?
Peur d’une boîte en bois, Boniface ?
— Un
cercueil !
— Rapporté
d’Égypte par Silano, sans difficultés
apparentes. »
Stimulé,
le geôlier traversa la pièce. Il ouvrit le cercueil.
Avec ses orbites vides et son sourire sans lèvres dans sa face
noire, Omar bascula lentement vers l’avant et lui tomba dans
les bras.
Boniface
poussa un cri et rejeta Omar comme s’il était en feu.
« Il
est vivant ! »
L’ennui
avec les serviteurs publics mal payés, c’est qu’on
a rarement affaire aux plus intelligents.
« Du
calme, Boniface. Il est plus mort qu’une saucisse et ça
n’est pas d’hier. On l’appelle Omar. »
Le
malheureux se signa de nouveau, en dépit du mépris
jacobin pour la religion sous toutes ses formes.
« C’est
une erreur, ce qu’on fait là. On va être damnés.
— Seulement
si on perd courage. L’heure tourne. Inutile de courir plus de
risques. Filez à l’église, forcez la serrure !
cachez nos outils et attendez-nous.
— Vous
allez venir quand ?
— Dès
qu’on tiendra le livre et quelques réponse ! »
du comte à nos questions. Sondez le sol des cryptes. Ça
sonnera forcément le creux quelque part. »
Il
acquiesça, l’expression gourmande.
« Vous
jurez de me rejoindre, tous les deux ?
— Nous
aussi, on veut être riches ! »
L’argument
lui rendit une fraction de sa confiance. À notre grand
soulagement, il s’enfuit. J’espérais bien ne pas
le revoir, car, à ma connaissance, il n’y avait aucun
trésor dans les cryptes de Notre-Dame, et je n’avais
jamais eu l’intention de m’y rendre. Omar la momie nous
avait bien rendu service.
Je
lui jetai un bref coup d’œil. Il allait rester
tranquille, maintenant ?
« Cherchons
le livre, implora Astiza. Prends ces étagères, je
m’occupe de celles-ci. »
Une
tâche ingrate, ardue et très poussiéreuse à
mesure qu’on dégageait les planches pour regarder
derrière tous ces volumes consacrés à
l’alchimie, la sorcellerie, l’Atlantide, Zoroastre,
Mithra et Ultima Thulé ; des albums d’imagerie
maçonnique et de hiéroglyphes égyptiens ;
la hiérarchie des chevaliers du Temple ; des théories
sur les rose-croix et le mystère du Graal. Silano
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