Hiéroglyphes
mousquet claquèrent comme un seul.
Les
séides de Napoléon m’avaient accusé d’être
un espion doublé d’un traître, raison pour
laquelle j’avais été conduit, avec les autres
prisonniers, jusqu’à cette plage. Et, mon Dieu !
oui, dans une certaine mesure, les circonstances avaient milité
en faveur de leur accusation. Mais je n’avais jamais cultivé
la moindre pensée, la moindre intention de cette sorte. Je
n’étais rien de plus qu’un Américain à
Paris que son intérêt pour l’électricité
– outre le besoin d’esquiver une inculpation de
meurtre totalement injustifiée – avait convaincu
de se joindre à l’aréopage de scientifiques et de
savants conviés par Napoléon, l’année
précédente, à l’accompagner dans son
irrésistible conquête de l’Égypte. Et
conformément à ce don inné qui était le
mien de me retrouver toujours du mauvais côté, au
mauvais moment, tout le monde ou presque avait essayé de
m’éliminer : la cavalerie mamelouke, la femme que
j’aimais, des bandits arabes, des Britanniques assimilés,
des fanatiques musulmans, des pelotons d’exécution
français. Tout cela en dépit de ma nature aimable, au
plein sens du terme.
Mon
pire ennemi français s’appelait Pierre Najac, assassin
et voleur, une basse crapule qui ne m’avait pas pardonné
de lui avoir tiré dessus, à mon tour, alors qu’il
tentait de me dérober un médaillon auquel je tenais
par-dessus tout. C’est une longue histoire contée dans
un premier volume 1 .
Najac était revenu dans ma vie, tel un créancier de
mauvaise foi, juste à temps pour me pousser sur cette plage, à
la pointe d’un sabre de cavalerie, parmi la foule des
prisonniers en débandade. Il jouissait de ma mort prochaine
avec cette même sensation de triomphe et de haine qui précède
l’écrasement d’une grosse mouche venimeuse. Je
regrettais de n’avoir pas visé plus haut et quelques
centimètres plus à gauche.
Ainsi
que je l’ai noté précédemment, tout semble
toujours commencer par le jeu. À Paris, c’était
une partie de cartes qui m’avait permis de gagner le mystérieux
médaillon et valu des péripéties impossibles !
Cette fois, ce qui m’était apparu comme un bon moyen de
me refaire un pécule – dépouiller jusqu’au
dernier shilling les naïfs matelots du Dangerous, frégate
au service de Sa Majesté - n’avait
pas résolu mon problème. Au contraire, puisqu’ils
m’avaient débarqué sans cérémonie
sur le rivage de la Terre sainte. Je ne me lasserai jamais de le
répéter, le jeu est un vice et rien n’est plus
insensé que de compter sur la chance.
« En
jou-ou-ou-oue ! »
Mais
je vais beaucoup trop vite.
Moi,
Ethan Gage, j’ai passé le plus clair de mes
trente-quatre ans à vouloir éviter les ennuis trop
graves et le travail trop absorbant. Comme mon ancien employeur et
maître à penser Benjamin Franklin n’aurait pas
manqué de le souligner, ces deux ambitions sont aussi opposées
l’une à l’autre que l’électricité
positive et négative. Réaliser la seconde mène
généralement à plonger tête baissée
dans la première. Mais c’est une leçon, telle la
migraine associée à l’abus de l’alcool ou
la traîtrise des jolies femmes, qu’on n’apprend
jamais que pour mieux l’oublier. C’était ma
profonde antipathie envers tout travail dur qui avait engendré
mon amour du jeu, c’était le jeu qui m’avait
fourni le médaillon et c’était le médaillon
qui m’avait conduit en Égypte avec à mes trousses
la moitié des scélérats de la planète. Et
c’était l’Égypte, enfin, qui m’avait
valu de gagner et de perdre la sublime Astiza.
Auparavant,
celle-ci avait su me convaincre que nous devions sauver le monde des
machinations du maître de Najac, le comte et sorcier
franco-italien Alessandro Silano. Comment aurais-je pu prévoir
que cette suite imprévisible d’événements
disparates me coûterait non seulement l’estime, mais
l’amitié naissante de Bonaparte ? À la
faveur de cet enchaînement, j’avais connu l’amour
fou, décelé l’existence d’un accès
secret à la Grande Pyramide et découvert là-bas
des richesses incroyables. Seulement pour reperdre tout ce qui
importait à mes yeux en m’échappant, de justesse,
à bord d’un ballon.
Je
vous ai dit que c’était une longue histoire…
Malheureusement,
la magnifique et ensorcelante Astiza, ma meurtrière en
puissance, puis ma servante et finalement grande
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