Histoire De France 1618-1661 Volume 14
du monde.
Chaque fois que j'entre dans Strasbourg ou Francfort, dans Nuremberg, ce grand musée, dans la splendide Augsbourg, dans ces puissants foyers du génie allemand d'où jaillirent Gœthe et Beethoven et tant d'autres lumières, je me remémore avec un sentiment de religion le grand soldat Gustave, qui sauva l'Allemagne, et qui sait? la France peut-être.
Et je dis à ces villes: «Où seriez-vous sans lui?... Dans les ruines et les décombres, les cendres où finit Magdebourg.»
Tout ce que l'histoire fabuleuse avait conté du héros fut accompli ici et à la lettre: Sauver le monde, mourir jeune et trahi.
On sait sa mort. À cette furieuse bataille de Lutzen, il accable Waldstein, le bat, le blesse, le crible, le renverse, lui tue ses fameux chefs, l'homme surtout qui fut la guerre même, ce Pappenheim, qui, en naissant, eut au front deux épées sanglantes. Il revenait, paisibleet pacifique, confiant comme à l'ordinaire, de la terrible exécution. Il n'avait avec lui qu'un Allemand, un petit prince qui avait passé, repassé plus d'une fois d'un parti à l'autre. Un coup part, et Gustave tombe. L'homme suspect qui l'accompagnait s'enfuit et alla droit à Vienne (16 septembre 1632).
Il avait fait beaucoup, et beaucoup lui restait à faire. S'il eût vécu quelques années de plus, non-seulement il eût imposé, forcé la paix, mais il eût obtenu un résultat moral immense; il eût imprimé au cœur abaissé de l'Europe un idéal grand, fort, fécond.
L'allégresse héroïque qui fit ce bon géant calme et serein, et «joyeux tout le jour,» elle eût été comme une aurore morale dans cette sombre époque. C'est l'effet d'une telle force de tout rasséréner et de tout élever à soi. Chacun regarde, admire, et grandit d'avoir regardé. La moyenne générale change. Tous gagnent un degré; même les moindres sont moins petits. Le vrai héros, de loin, et là même où il n'agit pas, par cela seul qu'il est, imprime à tous une gravitation par en haut; le monde aspire et monte, hausse vers le niveau de son cœur.
Le politique, le grand homme d'affaires, comme fut Richelieu, ou tel grand militaire, tel soi-disant héros, n'ont point du tout cette influence. Leur forte tension, et le bras d'airain, par lesquels ils serrent les ressorts, bandent la machine à casser presque, n'ont après, pour effet définitif, qu'une détente déplorable, une énervation générale. Et le monde en reste aplati.
L'idée de Richelieu, celle de l'équilibre et du balancement des forces, était-elle une idée vitale quirenouvelât l'esprit européen? Point du tout. L'équilibre peut avoir lieu entre vivants ou entre morts. Le très-faux semblant d'équilibre qu'on obtint à la longue par le traité de Westphalie, on ne l'eut réellement que par l'épuisement définitif et par voie d'extermination.
Maintenant, osons le dire, Richelieu se méprit sur le fond de son idée même. En cherchant l'équilibre entre protestants et catholiques, il ne s'aperçut pas que les protestants isolés, débandés, n'étaient pas même un parti, tandis que les catholiques avaient la force et l'unité d'une faction.
Quand Rome, Vienne, Madrid, les Jésuites, illuminèrent et firent des fêtes pour la bataille de Lutzen, ce n'était pas seulement pour la mort de Gustave, mais pour la ruine de Waldstein, qui, rendu et fini, bientôt tué, allait restituer à l'Empereur son rôle de chef des armées catholiques et donner à ce parti, lié si fortement, l'unité absolue [9] .
Qui dit l'Empereur, dit les Jésuites. Ils sont les vainqueurs des vainqueurs.
La guerre, menée par des hommes de paix, par deshommes qui n'y vont pas, ne peut manquer d'être éternelle. La médiocrité, la platitude et la bassesse, centralisées au cabinet jésuite, vont de Vienne s'étendre partout comme un pesant brouillard de plomb.
Où est le général en chef après Waldstein? Au prie-dieu, entre deux Jésuites. En réponse à cette question, ceux-ci avec satisfaction vous auraient montré là leur ouvrage, leur créature et leur propriété, un petit homme gras, qu'ils tiennent jour et nuit, gardent à vue, mènent, ramènent de l'oratoire à la chapelle. Créature étonnante! Il serait curieux d'expliquer comment ces pères ont couvé, fait éclore cette espèce jusque-là inconnue en histoire naturelle. On avait bien le fanatique, mais on n'avait pas le bigot . Heureux mélange du sot, du furieux, combinaison savante d'aveugle docilité et de stupidité
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