Histoire De France 1618-1661 Volume 14
triomphateur, menant la cour vaincue, la reine souriante et tremblante, descendait doucement de Garonne en Gironde. À Bordeaux, sa victoire devait doubler encore par la mortification, le désespoir du vieux gouverneur, le duc d'Épernon. Il touchaitaux quatre-vingts ans. La fête eût été belle si la rage remontée l'eût expédié et que le cardinal eût pu l'enterrer en passant.
Vain espoir! À Bordeaux, tout change.
Vicissitude étrange de la destinée qui s'amuse à nous prendre au plus beau moment, en pleine fête et couronnés de fleurs, pour nous tordre le cou!... Les violentes émotions de Richelieu, sa préoccupation terrible, l'effort qu'il avait fait, son audace craintive, enfin, par-dessus tout, le tourment de l'espoir, tout cela fut plus fort que lui. Et il fut frappé à Bordeaux.
Il n'y avait pas à lutter avec ce mal. L'irritation de la vessie, l'impossibilité d'uriner, semblent du premier coup l'approcher de la mort. L'augure fâcheux d'une mort subite vient le frapper, Schomberg mort en soupant. Et déjà, en Allemagne, il a perdu d'Effiat, général, financier, homme universel, son autre bras droit. Tout s'assombrit. La reine part en avant. Les fêtes qu'il lui préparait chez lui (à Brouage) et dans sa conquête sur son champ de gloire à la Rochelle, tout se fera sans lui. Pour comble, le vieux coquin d'Épernon, insolent d'être en vie, vient chaque matin, à grand bruit, avec toute une armée de spadassins, pour lui tâter le pouls et le voir au visage, lui aigrissant son mal par ces accès de peur. Qui l'empêche, en effet, d'enlever le malade, de le mettre au château Trompette, sinon dans l'autre monde? Le roi eût été en colère, mais on l'eût entouré, calmé, félicité, et, dans la joie universelle, il eût accepté les faits accomplis.
La reine, quitte à si bon marché, continuait joyeusementson voyage, profitait pleinement des fêtes du cardinal, que sa présence aurait gâtées. Il y eut à la Rochelle des magnificences incroyables, arcs de triomphe, joutes, combat naval, des danses et des concerts. Une extrême gaieté, car on disait qu'il était mort ou qu'il allait mourir. On dansait. Cependant la reine, qui palpitait d'espoir, impatiente, envoya son bon La Porte, un confident valet de chambre, pour s'assurer de l'heureux événement. «Je le trouvai, dit La Porte, entre deux petits lits, sur une chaise où on le pansait. Et on me donna le bougeoir pour l'aider à lire les lettres que je lui apportais.» Il interrogea fort La Porte pour savoir ce que faisait la reine, si M. de Châteauneuf, le garde des sceaux, y allait souvent, et s'il y restait tard , s'il n'allait pas ordinairement chez madame de Chevreuse, etc. Mais il ne s'en rapporta pas au valet de chambre, et recueillit des notes exactes sur ceux qui avaient ri et sur ceux qui avaient dansé.
Le bal ne dura pas, et la joyeuse cour revint au sérieux tout à coup, apprenant deux nouvelles qui changeaient le monde. Richelieu avait uriné, et Gustave-Adolphe était mort (16 novembre 1632). [Retour à la Table des Matières]
CHAPITRE VIII
RICHELIEU, CHEF DES PROTESTANTS—SES REVERS—LA FRANCE ENVAHIE
1633-1636.
Le monde a vu et perdu une chose bien rare, un vrai héros, et, avec lui, une admirable chance de salut. Si Gustave-Adolphe eût vécu, on arrivait dix ans, quinze ans plus tôt, à la paix de Westphalie.
Il ne fit qu'apparaître, et n'en reste pas moins un bienfaiteur du genre humain. Sa victoire eut deux résultats qu'on n'a pas assez remarqués. Elle sauva les villes impériales, non-seulement Nuremberg, mais Strasbourg, mais Augsbourg et toutes, que l'armée des brigands aurait certainement visitées. La sienne, la primitive armée libératrice, s'épuisa devant Nuremberg et y laissa ses os; mais elle y eut le succès admirable de détruire en même temps le monstre militaire,l'armée de Waldstein. Celui-ci, à Lutzen, ayant perdu ses hommes de confiance, fut en réalité éreinté pour jamais. Il ne les remplaça que par de petits officiers, brigands de troisième ordre, parmi lesquels l'Autriche trouva sans peine un assassin.
Répétons-le, Gustave ne mourut pas en vain. Il fit la grande chose pour laquelle il était né. Il coupa la tête au dragon, au gouvernement de soldats qui eût anéanti la civilisation de l'Europe.
La menue monnaie de Waldstein, toute cette populace de bons généraux qui continueront la guerre de Trente ans, perpétuent les misères, mais ne renouvellent pas le danger
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