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Histoire De France 1618-1661 Volume 14

Histoire De France 1618-1661 Volume 14

Titel: Histoire De France 1618-1661 Volume 14 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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familles sans défense. Partout l'homme battu, blessé, tué. La femme passant de main en main. Partout des cris, des pleurs. Je ne dis pas des accusations.
    Comment arriver à Waldstein, inaccessible dans son camp? Le spectre était aveugle et sourd.
    Les âmes furent brisées, aplaties, éteintes, anéanties. Quand le roi de Suède vint venger l'Allemagne et voulut écouter les plaintes, il trouva tout fini. Ces gens, pillés, battus, outragés, violés, dirent que tout allait bien. Et personne ne se plaignait plus!
    Un fort bon tableau hollandais, qui est au Louvre, montre aux genoux d'un capitaine en velours rouge une misérable paysanne qui a l'air de demander grâce. Elle a le teint si plombé et si sale, elle a visiblement déjà tant enduré, qu'on ne sait pas ce qu'elle peut craindre. On lui a tué son mari, ses enfants. Eh! que peut-on lui faire? Je vois là-bas au fond des soldats qui jouent aux dés, jouent quoi? La femme, peut-être, l'amusement de la faire souffrir. Elle a encore une chair, la malheureuse, et elle frissonne. Elle sent que cette chair, qui n'est plus bonne à rien, ne peut donner que la douleur, les cris et les grimaces, la comédie de l'agonie.
    Le pis, dans ce tableau funèbre, c'est que ce capitaine, enrichi par la guerre et en manteau de prince, n'a l'air ni ému ni colère. Il est indifférent. Il me rappelle un mot terrible par lequel Richelieu, dans son portrait de Waldstein, termine l'éloge qu'il fait de cet homme diabolique: «Et avec cela, point méchant.»
    Waldstein fut un joueur [1] . Il spécula sur la furie dutemps, celle du jeu. Et il laissa le soldat jouer tout, la vie, l'honneur, le sang. C'est ce que vous voyez dans les noirs et fumeux tableaux de Valentin, de Salvator.
    Sort, fortune, aventure, hasard, chance, ce je nesais quoi, cette force brutale qui va sans cœur, sans yeux, voilà l'idole d'alors. Le dieu du monde est la Loterie [2] .
    «Il est des moments, dit Luther, où Notre-Seigneura l'air de s'ennuyer du jeu et de jeter les cartes sous la table.»
    Waldstein réussit justement parce qu'il fut la loterie vivante. Il se constitua l'image du sort. Pour rien il faisait pendre un homme; mais pour rien il le faisait riche. Selon qu'il vous regardait, vous étiez au haut, au bas de la roue; vous étiez grand, vous étiez mort. Et voilà aussi pourquoi tout le monde y allait. Chacun voulait savoir sa chance.
    La loterie proprement dite, aussi bien que les cartes, nous étaient venues d'Italie. Les gouvernements italiens étaient généralement des loteries où les noms mis au sac, imbursati , jouaient aux magistratures. La ville de l'usure, de la grosse usure maritime, Gênes, imagina la première de mettre sur ces bourses d'élections des lots d'argent que l'on tirait. De là des fortunes subites, des ruines aussi, de grosses pertes, desbatailles financières, des morts et des suicides de gens qui survivaient, mais pauvres, non plus hommes, mais ombres, des millionnaires devenus facchini ; comme un carnaval éternel; bref, une société mouvante, et toute en grains de sable, que la Fortune d'un souffle drolatique s'amusait à souffler sans cesse, à faire lever, baisser, tourbillonner.
    François I er , qui rapporta plusieurs maladies d'Italie, n'oublia pas celle-là. Il trouva la loterie d'un bon rapport et l'établit en France. Mais, à part l'intérêt du fisc, elle répondait à un besoin de cette société. La grande loterie du bon plaisir se tirant en haut pour les places, le caprice des dames faisant les généraux, les juges et les évêques, il était bien juste que les petits aussi eussent les amusements du hasard, l'émotion des surprises, la facilité de se ruiner.
    Un mot entre alors dans la langue, un titre qui fait passer partout et qui tient lieu de tout, qui dispense de tout autre mérite: Un beau joueur . Les portes s'ouvrent toutes grandes à celui que l'on annonce ainsi. Des aventuriers étrangers entrent par là, souvent sans esprit, sans talent, même grossiers, mal faits, malpropres et malotrus. Le joueur d'Henri IV, sa partie ordinaire, est un gros Portugais ventru, le sieur de Pimentel, dont le mérite principal est de voler au roi cent mille francs par soirée. C'est encore là un des mérites du faquin Concini. Son audace héroïque à jouer ce qu'il n'avait pas étonna et charma la reine presque autant que sa grâce équestre, son talent de voltige. Dans la Fronde, un valet, Gourville, marche de front avec tous les seigneurs. Et la

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