Histoire De France 1618-1661 Volume 14
grande fortune d'alorsest celle d'un fripon de Calabre, fils du fripon Mazarino.
Le général bigot Tilly, le tueur de la Guerre de Trente ans, entre ses messes et ses Jésuites, n'est pas tellement dévot à la Vierge Marie, qu'il ne songe encore plus à cette fille publique, la Fortune. Au moment solennel où il lui faut marcher contre Gustave-Adolphe, quel mot lui vient à la bouche? où prend-il son espoir? «La guerre est un jeu de hasard! Le gagnant veut gagner, s'acharne; le perdant veut regagner, s'acharne aussi. Enfin, tourne la chance; le gagnant perd son gain, jusqu'à sa première mise.» C'était là son augure pour croire qu'il vaincrait le vainqueur.
L'homme le plus sérieux du temps, le calculateur politique qui s'efforça de ne remettre que peu à la Fortune, Richelieu cependant semble envisager la vie en général, comme un jeu de hasard. «La vie de l'homme, dit-il, surtout celle d'un souverain, est bien proprement comparée à un jeu de dés, auquel, pour gagner, il faut que le jeu en die, et que le joueur sache bien user de sa chance [3] .»
Lui-même, entraîné par la force des circonstances hors des voies de réforme qu'il avait annoncées en 1626, jeté dans les dépenses énormes du fatal siége, et d'une armée, d'une marine indispensables, où allait-il? qu'espérait-il? Il jouait un gros jeu. L'affaire de La Rochelle aurait manqué, faute d'argent; elle tint à un fil. Richelieu, au dernier moment, emprunta un million en son nom et sur sa fortune. Son passage des Alpes,dont nous allons parler, aurait manqué aussi, et il serait resté au pied des monts, s'il n'eût encore trouvé au moment des ressources imprévues. Bref, il était lancé dans l'aventure, dans les hasards d'une roulette où il mettait surtout sa vie. [Retour à la Table des Matières]
CHAPITRE II
LA SITUATION DE RICHELIEU
1629
La grande victoire catholique sur La Rochelle et l'hérésie, fut fêtée à Paris d'un triomphe païen. Selon le goût allégorique du siècle, Richelieu exhiba Louis XIII déguisé en Jupiter Stator, tenant à la main un foudre doré.
Que menaçait le Dieu, et qui devait trembler? l'Espagne apparemment, l'Autriche. L'Empereur voulait nous exclure de la succession de Mantoue, nous fermer l'Italie. Et l'Italie, Venise, Rome, dans l'attente terrible des bandes impériales, criait à nous, nous appelait, envoyait courrier sur courrier.
Donc Louis XIII allait lancer la foudre, mais on pouvait se rassurer. Ce maigre Jupiter à moustaches pointues, s'intitulant Stator (qui arrête), disait assez lui-même qu'il ne voulait rien qu'arrêter, qu'il n'irait pas bien loin, s'arrêterait aussi bien que les autres, et foudroierait modérément, jusqu'à un certain point.
Le foudre était de bois. Il y manquait les ailes dont l'antiquité a soin de décorer celui de Jupiter. Ces ailes aujourd'hui, c'est l'argent. Le déficit énorme, accusé en 1626, l'aggravation d'emprunts faits pour le siége, semblaient rendre impossible le secours d'Italie. Chaque effort de ce genre demandait un miracle, un coup de génie. Et encore, les miracles n'eurent pas d'effet quant au but principal. Gustave-Adolphe le dit et le prédit à notre ambassadeur, qui faisait fort valoir la puissance de son maître: «Vous ne pourrez sauver Mantoue.»
L'histoire de Richelieu est obscure quant au point essentiel, les ressources, les voies et moyens. De quoi vivait-il, et comment? on ne le voit ni dans les mémoires ni dans les pièces. Un ouvrage estimable, qu'on vient de publier sur son administration, et qui s'étend fort sur le reste, ne dit presque rien des finances. Comment le pourrait-il? Tout ce qu'on a des comptes de Richelieu (3 vol. manuscrits , Bibl. , fonds S. G. 354-355-356) ne comprend que quatre années (1636-38-39-40), et donne fort confusément les recettes ordinaires, poussées à 80 millions. Pas un mot de l'extraordinaire [4] .
En 1636, quand la France fut envahie, on créa (ou plutôt on régularisa) la taxe des gens aisés , et les intendants mis partout en 1637, avec triple pouvoir de justice, police et finances, la levèrent en toute rigueur. Mais on ne peut douter que bien auparavant quelque chose d'analogue n'ait existé, surtout dans les passages d'armées par certaines provinces. Autrement, on ne peut comprendre comment, avec un tel déficit sur l'ordinaire, on put faire chaque année des dépenses (de guerres ou de subsides aux alliés) extraordinaires et imprévues.
De là une action variable,
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