Histoire De France 1715-1723 Volume 17
impossibles.
Dubois fit le contraire. Il brise, pour une question de vanité, ce cadre si utile qu'il aurait rempli à songré. Il exige pour les cardinaux la préséance, et la plupart des membres s'en vont. Le Conseil est désert.
Ainsi, de plus en plus, n'ayant ni Parlement, ni Conseil de régence, en se donnant toutes les places et pourtant restant seul et n'étant qu'un individu, il se voit juste en face du mufle de M. le Duc, qui compte l'avaler à la majorité. M. le Duc a la surintendance de l'éducation royale, comme l'a eue le duc du Maine. Ce qui le sépare encore de la personne royale, ce qui fait que l'enfant n'est pas en son pouvoir, c'est que le gouverneur, Villeroi, le tient de très-près. Villeroi, l'ami du feu roi, gardien, sauveur du petit roi, l'acteur emphatique et grotesque qui fait pleurer les Dames de la Halle sur la frêle vie du cher enfant, Villeroi, avec sa sottise, ses défiances affectées du Régent, n'en est pas moins utile au Régent, à Dubois, étant réellement le mur qui sépare le Roi de M. le Duc. Supprimer un tel mur, c'est servir celui-ci et le rapprocher de l'enfant.
Villeroi ayant, de tout temps, été serviteur des Jésuites, et très-bon Espagnol, il ne semblait pas que le mariage espagnol, le confesseur jésuite, pussent le blesser. Ce fut là cependant la cause ou le prétexte de sa mauvaise humeur. Il donna la main sans scrupule à l'athée Canillac et au janséniste Noailles. L'archevêque refusa les pouvoirs au Jésuite pour confesser dans son diocèse. La première communion du Roi approchait. Ce fut le terrain du combat.
Chose grave. Vers le 1 er avril, quand on annonça le choix du Jésuite, le petit Roi montra une extrême mauvaise humeur. On lui avait soufflé certainementqu'à la veille du sacre, de la majorité, c'était une insolence de disposer ainsi de sa conscience, de nommer un homme si important de sa maison, son officier, son domestique, comme on disait.
Comme il ne parlait pas, son irritation enfantine éclata par un acte, un caprice cruel et sauvage, où il était bien sûr de choquer tout le monde. Il voulut montrer durement qu'il était désormais le maître, ne se souciait de personne, agirait à sa fantaisie. Il élevait une biche blanche qui ne mangeait que dans sa main. Il la fait mener à la Muette, la fait mettre à distance, la tire, la blesse. La pauvre bête revient à lui et le caresse. Il l'éloigne encore, et la tue. ( Barbier , avril, I, 212.)
Voilà un grand changement. Cet enfant de douze ans, dont on ne tirait rien, ni acte ni parole, il agit et il parle, ordonne. Il signifie à son grand aumônier, cardinal de Rohan, qu'il ne veut se confesser, pour la première communion, qu'au curé de sa paroisse, la paroisse du Louvre, Saint-Germain-l'Auxerrois. Le grand aumônier, en effet, qui devait le faire communier avait droit de le faire confesser par qui il voulait. Mais Rohan, si intime avec Dubois pour l' Unigenitus , pour l'affaire du chapeau, et son agent à Rome, Rohan, à qui Dubois vient de donner la préséance au Conseil de régence, Rohan va-t-il agir contre Dubois?
Un courtisan ne voit point le passé, mais le seul avenir. Rohan pensa qu'à la majorité (si prochaine), Dubois très-probablement tomberait, que Villeroi, Fleury, qui tenaient l'enfant, régneraient.—Fleury s'était déclaré (en juillet). Dubois, recevant alors lacalotte, voulut lui donner sa croix d'archevêque en diamants, pour le brouiller avec Villeroi. Il évita le piége, ne porta pas ce bijou sale, le vendit pour donner aux pauvres. Insulte réelle à Dubois. Rohan s'en souvenait. Il fit comme Fleury, tourna contre Dubois, et fit le curé confesseur. ( Buvat. )
Qu'un homme aussi timide que Rohan eût osé cela, qu'un homme aussi prudent que Fleury (seul responsable, au fond, des paroles du Roi) l'eût fait parler et ordonner, c'étaient des signes effrayants de ce qu'à la majorité pouvaient attendre Dubois et le Régent. Nul doute qu'à ce moment la cabale ne fît agir contre eux la petite machine royale, l'automate qu'elle savait faire parler par instants (comme le canard de Vaucanson). Quel remède? Différer de quatre ans la majorité, la reculer de treize ans à dix-sept. Chose naturelle et raisonnable à laquelle on pensa, dit-on, mais malheureusement impossible. La demander aux États généraux? quel péril! L'implorer du Parlement, qu'on écrasait hier? quelle pitié! La faire décréter par un Conseil de régence, brisé, détruit?
Weitere Kostenlose Bücher