Histoire De France 1715-1723 Volume 17
quelle risée! Qui l'aurait prise au sérieux?
Le Régent cependant en jasa fort imprudemment avec ce qui restait de ce triste Conseil. Plus sottement encore, il fit venir le président de Mesmes (si fort dans les Scapins au théâtre de Sceaux), de Mesmes, son gracié, qui naguère, pris sur le fait, lui avait léché les souliers, s'était fait son mouchard. C'est à ce digne magistrat qu'il se confia. Autre temps. Le faquin se dresse, fait de la dignité.—«Mais si l'on vous exile?—Nous resterons et ne bougerons pas.»(15 avril, Buvat , 149.) Dubois, exaspéré, dit aux Parlementaires une chose qui les fit reculer: Qu'ils ne seraient plus qu'un bailliage, qu'on mettrait leurs épices à sec. Ils ne soufflèrent, mais disaient en dessous que le Régent voulait tondre le roi, être Maire du palais, se faire un Pépin ou un Guise. ( Buvat. )
Dubois et le Régent songèrent que, s'il leur était impossible d'ajourner la majorité, il serait très-possible, avec un peu d'adresse, de s'emparer du roi majeur. Deux hommes d'esprit, comme ils l'étaient, contre l'ennuyeux Villeroi, radoteur, presque octogénaire, avaient beaucoup de chance. Comme il n'était qu'orgueil d'ailleurs, Dubois ne désespérait pas, par l'excès de la déférence, les respects, les soumissions, de le capter, de l'étourdir, ainsi que, dans la fable, le renard agile, à force de voltes et de courbettes, étourdit le dindon sur l'arbre. Il espérait diviser la cabale, chasser Noailles et Canillac, ramener, gagner Villeroi.
À ce dernier effet, il était fort utile de mettre le Roi à Versailles, d'éloigner Villeroi de Paris, son théâtre, où il jouait, pour l'admiration des poissardes, son rôle d'ange gardien. À Versailles, plus isolé et un peu dégrisé, il écouterait davantage et deviendrait moins sot peut-être. Enfin, s'il fallait le briser, c'était plus aisé qu'à Paris. [Retour à la Table des Matières]
CHAPITRE XXIII
LE ROI RAMENÉ À VERSAILLES—ENLÈVEMENT DE VILLEROI
1722
Au bout de six ans d'abandon, Versailles était déjà d'un délabrement singulier. Ce bâtiment, comme tous ceux de Louis XIV, était né vieux. L'artificiel, l'effort, donnent peu la durée. Les faux toits italiens, à peu près plats, protègent assez mal un palais, et le voleur d'Antin avait enlevé tous les plombs. L'appartement royal surtout était dans un état effrayant et funèbre. Les tentures, à la mort du Roi, furent indignement enlevées, en vertu d'un prétendu droit des temps barbares, par le grand maître de la garde-robe et autres officiers. Tous avaient pillé l'orphelin.
Le 15 juin, il fut brusquement amené de Paris à Versailles. Le Régent et Dubois, venus en même temps, déclaraient s'y fixer. Rien n'était préparé. Si Villeroi eût été prévenu, il aurait communiqué à l'enfantsa mauvaise humeur. Tout se passa au mieux. Le Régent lui-même le prit, lui montra tout, le parc, ce peuple de statues, les bosquets, beaux de la saison. Il faisait chaud, il se fatigua fort, voulut changer; mais point de linge. Quelqu'un prêta une chemise.
On ne rendit point aux seigneurs les innombrables logements que donnait le feu roi. Ceux qui voient aujourd'hui cet énorme palais réduit aux quatre murs et tout en galeries, sont loin de deviner que c'était une ville, une ruche, une fourmilière. L'ancien Versailles était divisé et subdivisé en une infinité d'appartements, dont beaucoup fort petits. Tel je l'ai vu en 1830, avant la grande métamorphose. Tel l'ont vu nos prédécesseurs, mademoiselle Delaunay, madame Roland et tant d'autres. Celle-ci, fort jeune alors, et menée par ses parents en visite chez une femme de chambre, fut fort choquée de tous ces nids à rats, de l'odeur et du pêle-mêle. Saint-Simon, en plusieurs endroits, décrit les arrière-cabinets qu'on ménageait aux épaisseurs obscures; on y allumait à midi. Chaque occupant de ces logis étroits, pour en tirer parti, y faisait des subdivisions, cloisons, soupentes, alcôves, petits réduits pour domestiques ou garde-robes, toilette, etc.
Aération, propreté, surveillance, trois choses également impossibles. Malgré les rondes de nuit, ces labyrinthes infinis de corridors, passages, escaliers dérobés, les petites cours intérieures (uniques latrines du palais), les combles enfin et les toits plats à balustrades, favorisaient mille aventures, maintes méprises volontaires. L'un des hommes qui ont su lemieux cette tradition, M. de Valéry, contait cela à
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