Histoire De France 1715-1723 Volume 17
publiques, redoutant le pillage, s'il arrivait un malheur. Les médecins étaient consternés, n'osaient rien faire. Un seul, le jeune Helvétius, osa le traiter sans façon, comme s'il n'eût été qu'un homme mortel. Il lui donna l'émétique, dont l'explosion le sauva.
Immense fut la joie populaire, touchante et ridicule. Ces pauvres gens se crurent sauvés aussi. Il y eut pendant plusieurs jours des réjouissances spontanées, des danses au Carrousel, des députations empressées de tous les corps de métiers, des charbonniers, des dames de la Halle; tendresses pour le Roi, injures pour le Régent et son papier-monnaie.
À la Saint-Louis, une foule énorme se porta aux Tuileries pour voir le Roi. Vif élan de nature, d'espoir, mais surtout de bonté. Tout cela mal reçu. Il en fut excédé. À grand'peine il se laissait traîner au balcon. Dès qu'on l'entrevoyait, des cris frénétiques éclataient. Il se cachait, se tenait de côté. Le vieux Villeroi lui criait: «Voyez, mon maître, voyez ce peuple ... Tout cela est à vous, vous appartient!» Il n'en tira rien d'agréable, nulle bonne grâce, nul signe du cœur. Les courtisans eux-mêmes furent étonnés. D'Antin écrit: «Il ne sentira rien.»
Il portait l'empreinte évidente de deux époques déplorables, l'année 1709, où il fut conçu, au milieu des désolations de la France, et le temps de sa puberté, marqué de trois fléaux, la ruine, la peste interminable, et le pire des fléaux, l'aigreur qu'ils produisent à la longue.
De 1722 surtout à 1726, c'est un temps de mœurs violentes. Cela commence sous Dubois, et sous M. le Duc continue ou augmente. Dubois ne fait attention qu'à la police politique. Il divise la France à huit Argus, bien posés, grands seigneurs, qui dénoncent les Jansénistes, les mal-contents uniquement. Aux voleurs, liberté parfaite. Les grandes routes du Roi n'ont de roi qu'eux. En nombre même, en diligence, on court d'extrêmes dangers.
Dans la société qui semble près de se décomposer, une autre se forme, celle du vol, une armée bien conduite, tout à l'heure une monarchie. Les bandes principales se rattachent à Cartouche. Son vrai nom était Bourguignon. Il était né à Bar-le-Duc. Il entreprenait fort en grand. Quand la fille du Régent alla en Espagne, Cartouche ne manqua pas de la faire accompagner. Trente des siens entrèrent avec elle à Madrid.
Ces bandes, en faisant leurs affaires, faisaient obligeamment celles des autres. Pour un salaire honnête et modéré, ils vous tuaient votre ennemi. Certain marquis, de Lyon, embarrassé d'une promesse de mariage qu'il avait faite à une demoiselle de qualité, et qu'elle voulait faire valoir, s'arrangea avec les Cartouche. À tel jour elle devait passer dans une voiture publique. Dès qu'ils se présentèrent, elle devina, et rassurant les autres voyageurs, elle dit: «Cela ne regarde que moi.» Elle descendit et les suivit.
Paris, avec sa grande police, était pour les brigands un lieu de parfaite sécurité, un refuge, un asile. Laville, énormément grossie, avait huit cent mille âmes (dont cent cinquante mille âmes de laquais). La police, myope et fantasque, un jour était féroce pour la foule, et l'autre jour sensible, indulgente (aux voleurs). On allait jusqu'à dire que ceux-ci, au lieu de disputer, s'étaient arrangés à forfait, prenaient abonnement de certains magistrats.
On ne parlait que de Cartouche. Il devenait une légende, un être mystérieux. Tels disaient qu'il n'existait pas. Ses actes le révélaient assez. Il allait jusqu'à exercer entre les siens haute et basse justice, faire des exécutions solennelles et presque publiques.
Cela piqua. On prit un des siens, un Du Châtelet, bon gentilhomme de la maison du Roi, qui dit où il était. On se garda d'avertir la police. Ce fut le ministre de la guerre, Leblanc, qui arrangea la chose en grand secret. Il choisit de sa main quarante braves soldats du régiment aux Gardes. Cartouche ne s'attendait pas à une attaque militaire. Il était dans son lit, à la Courtille, quand il reçut cette visite. Il raccommodait ses culottes.
Il est arrêté le 15 octobre (1721). Et le 20 déjà, Arlequin joue Cartouche , une farce de Riccoboni, au petit théâtre Italien. Le 21, aux Français, autre Cartouche du comédien Legrand. Le vrai Cartouche fut curieux; se moquant de ses fers, un jour il brise tout; sans un hasard, il eût été se voir jouer.
Le dégoûtant fut la légèreté des magistrats qui
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