Histoire De France 1715-1723 Volume 17
qu'en songe il voit peuplée, éveillé il la voit déserte. Il en offre à qui en voudra, aux gens de guerre réformés, par exemple, et encore avec une maison abandonnée, une exemption d'impôt.
Ces vérités terribles crevaient les yeux des hommes de bon sens. Il était déjà évident que la réforme de Noailles ne ferait rien, que la Régence resterait faible, bavarde, à vouloir le bien, faire le mal. La France, détendue, n'avait plus même sa ressource de 1709, la fièvre, le nerf du désespoir. Elle gisait, inerte, après l'accès. Et qu'adviendrait-il d'elle, si ses démembreursacharnés, les deux dogues, Marlborough, Eugène, la surprenaient sur le grabat?
Mais l'Europe elle-même en avait bien assez. L'Angleterre n'avait pas à la guerre un intérêt réel, puisque déjà l'Espagne, et la France bientôt, offraient sans guerre tous les avantages qu'elle désirait. Malheureusement la fausse fureur de Marlborough, la haine têtue des vieux whigs, la criaillerie des spéculateurs, faisaient grand bruit, et non-seulement couvraient la voix des gens sensés, mais, par leur insolence, leurs injures, leurs affronts, rendaient le traité impossible.
Le rechercher semblait une bassesse. Il se trouva un homme qui, sans souci d'honneur, d'orgueil, vit nettement l'intérêt des deux nations, le leur fit voir, éclaira les Anglais eux-mêmes. C'était un intrigant qui toute sa vie avait été entremetteur, et qui le fut ici très-utilement. C'était ce faquin de Dubois [4] .
J'ai dit ailleurs ce que j'en pense, et il ne s'agit pas ici de sa vertu. On doit dire seulement qu'il n'est pasde coquin qui n'ait eu un jour dans sa vie, un jour où il ait marché droit. On doit avouer que celui-ci, infiniment spirituel, eut ce que n'ont pas toujours les gens d'esprit, un sens net et vif du réel, une vue très-lucide de la situation, nulle fausse poésie, nulle illusion. De plus, une résolution déterminée et obstinée pour aller droit au but, y faire aller les autres.
Notez qu'il était presque seul de son avis, que ni l'Angleterre ni la France n'avaient grande envie de traiter. L'une et l'autre avaient encore la vue comme offusquée des mauvaises fumées de la guerre. On ne passe pas impunément par une lutte si longue et si atroce. Elles restaient malades de funestes levains, de fâcheux souvenirs, d'humeurs noires, de pénibles songes.
Nombre d'Anglais honnêtes, de braves gens qui sortaient peu de l'île, croyaient de bonne foi que la France était quelque chose comme la Bête de l'Apocalypse, le grand Dragon, que le monde n'était malade que de son venin, qu'il ne serait guéri qu'au jour oùun vent de colère, un bon vent d'ouest, emportant l'Océan, le roulerait de la Manche au Jura. Des gens habiles, comme Marlborough, exploitaient la fureur des simples. Si la Bourse allait mal, c'était la faute de la France. Si les Compagnies avortaient, la France en était cause. L'une, la Compagnie des plongeurs, s'engageait à repêcher tout ce qui s'est perdu dans les eaux, des Argonautes à l'Armada. L'avare Océan, qui pendant tant de siècles a thésaurisé les naufrages, il aurait à restituer. Qui l'empêchait? sinon la France, cette fée, qui, de Brest, de Dunkerque jetait ses sorts et son mauvais regard.
Folies étranges! la France, qui ne sait pas haïr, haïssait si peu l'Angleterre, qu'elle l'imitait tant qu'elle pouvait, copiait ses modes, ses banques, et pendant tout le siècle nos écrivains en font des éloges insensés.
Mais, en même temps, il faut le dire, la France avait renoncé à regret à sa guerre des corsaires, à leur bizarre légende, qui passe tous les contes de fées. Elle se souvenait peu de la grande affaire de la Hogue, mais beaucoup de Jean Bart, beaucoup de la Railleuse , l'étrange oiseau de mer, qui se moquait des flottes, qu'on bloquait dans Dunkerque pendant qu'en Amérique il faisait razzia. Jeu piquant de hasard, de malice héroïque, où le plaisir était moins la prise que la surprise. Il s'agissait si peu d'argent, qu'un des nôtres (le petit Renaut) dépense une fois vingt mille francs à régaler ses prisonniers. Pris lui-même, Duguay-Trouin, en revanche, capture une Anglaise, magnanime Ariane qui fait fuir son Thésée. Voilà de cesfolies que regrettait la France, qui lui mettait au cœur Saint-Malo et Dunkerque, qui la faisait s'obstiner dans cette fraude de Mardick qu'on creusait toujours malgré le traité.
Mais comment s'amusait-on à cela, quand la grande marine
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