Histoire De France 1715-1723 Volume 17
France la sécurité du dehors, si nécessaire dans sa ruine intérieure. Mais, malgré ce service, sa réputation était telle que le Régent n'osait le produire. À peine le fit-il, peu après, conseiller d'État.
Le diplomate heureux, l'ange de la paix, ne payait pas de mine. On l'aurait cru un procureur fripon, un aigrefin de jeu, ou un courtier de filles, et l'on se serait peu trompé. Les portraits qu'on lui fit au temps de sa puissance, qui lui furent présentés avec des vers flatteurs où ses vertus sont résumées; ces portraits,certes, nullement satiriques, sont terribles et font reculer. Rarement on le montre de face; les yeux sont trop sinistres, et l'ensemble trop bas. On aime mieux encore le donner de profil, et alors sa figure ne manque pas d'énergie. Sous une vilaine petite perruque blonde, elle pointe violemment en avant, comme celle d'une bête de proie, «d'une fouine,» dit Saint-Simon. Comparaison trop délicate. Il a un mufle fort, de grossière animalité, d'appétits monstrueux, qui doit en faire ou un vilain satyre de mauvais lieux, ou un chasseur d'intrigues nocturnes, une furieuse taupe qui, de ce mufle, percera dans la terre ces trous subits qui mènent on ne sait où.
Il avait du flair, de la ruse, un pénétrant instinct. Mais, pour mentir à l'aise, il feignait d'hésiter, il avait l'air de chercher sa pensée, bégayait, zézayait. Dans ses lettres, c'est tout le contraire. Il écrit de la langue nouvelle et si agile qu'on peut dire celle de Voltaire. C'est un homme d'affaires vif et pressé, entraînant, endiablé, terrible pour aller à son but; et avec cela amusant, pétillant. Il a des mots très-bas, comme en déshabillé, mais décisifs, qui tranchent tout.
Jamais embarrassé. C'est par là qu'il prit le Régent. Le désolé Noailles, dans sa voie impossible d'économie, ne trouvait que difficultés. L'honnête chancelier d'Aguesseau, ancien procureur général, dissertait, raisonnait, faisait de l'éloquence et n'arrivait à rien. L'archevêque de Noailles, et le conseil de conscience, les jansénistes modérés, voulaient, ne voulaient pas. Dans la question de Rome, dans celle des protestants,leur attitude double fut pitoyable. Non-seulement ils n'avaient révoqué aucune ordonnance contre les protestants, mais ils ne toléraient pas seulement ce que l'on proposait, d'ouvrir sur la frontière une libre colonie où ils pussent exercer leur culte. Ce qui se fit de bien se fit sans eux, par le Régent. Il refusa aux commandants les autorisations qu'ils demandaient pour fusiller, massacrer les assemblées du désert . Il tira de la chaîne les protestants que les Parlements envoyaient aux galères. Le pape refusant l'institution à ses évêques, il allait s'en passer, et peut-être essayer des formes anglicanes. C'eût été déjà quelque chose, et beaucoup, de n'avoir plus affaire au vieux prêtre étranger. Mais les Jansénistes auraient eu horreur d'un changement si hardi. Ils n'eussent pas suivi le Régent.
Il restait là impuissant et inerte, découragé, sentant qu'en tout le bien était impossible. Là-dessus arrive Dubois, l'homme de l'alliance anglaise. Il va apparemment encourager son maître? Cette alliance étroite avec l'Angleterre protestante permet de ne rien craindre des menées romaines, espagnoles. On peut émanciper la France. Mais qui s'y oppose? Dubois.
Avec l'apparente légèreté des libertins, des beaux esprits d'alors, il conseille au Régent de laisser là l'insoluble dispute, de se moquer de la question religieuse, de lâcher tout. Rome et la Bulle ont, après tout, la majorité des évêques. Laissons faire et laissons passer. Point de bruit, point d'appel. Du silence, c'est l'essentiel. Nous avons tant d'autres affaires!
En finances on est embourbé. Mais pourquoi s'en tenir à ce Noailles, sans imagination, sans invention, qui parle de nous mettre pour quinze ans au pain sec, qui traîne dans les vieilles voies? Soyons jeunes et prenons des ailes. L'Angleterre a sa force dans la dette même; elle fleurit par la bourse et la banque. Il n'est pas jusqu'à l'Autrichien qui ne veuille avoir une banque. L'Empereur vient de fonder la sienne, de faire les premiers pas dans la voie du papier-monnaie.
Dubois, à son retour, avait fait alliance occulte avec un charlatan, puissant parce qu'il était sincère. C'était le brillant Law, Écossais de naissance, mais de génie, d'éloquence irlandaise. Un merveilleux poète en finance, et d'étrange
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