Histoire De France 1715-1723 Volume 17
profiter d'un guet-apens. Et les dames, d'ailleurs, auraient craint d'employer la violence. Si elle eût dit un mot à son ambassadeur, il eût éclaté certainement et les aurait déshéritées.
Elles eurent beau faire et beau dire, la gronder au retour, la rendre malheureuse, lui faire honte de son obstination à refuser une si haute fortune. Elle se jeta aux genoux de la Fériol, jura que, si on la poursuivait ainsi, elle se sauverait dans un couvent.
Elle resta fidèle à son tyran. Elle le soigna vieux et malade finalement jusqu'à sa mort, en 1722.
Il lui laissa une petite rente, et le billet d'une forte somme qui pouvait être sa dot, si elle se mariait. Mais voyant que madame de Fériol gémissait d'avoir à payer tant d'argent, elle alla chercher le billet et le jeta au feu.
Cette noble et charmante femme [5] eut une destinéebien tragique. Nous achèverons en son temps sa douloureuse histoire.
Aimée de l'amour le plus tendre qui fut jamais, elle eut cet étrange supplice de ne pas s'estimer assez pour accepter les offres d'un amant accompli qui,douze années durant, lui demanda sa main. En s'immolant à lui, elle refusa le mariage. Son cœur, haut et très-pur, s'accusant jusqu'au bout des hontes involontaires, des fatalités de sa vie, s'obstina à se croire indigne, mourut d'amour et de vertu. [Retour à la Table des Matières]
CHAPITRE IV
LA FILLE DU RÉGENT—WATTEAU—LA RÉVOLUTION DE JANVIER
1718
La révolution qui bientôt va renverser Noailles et d'Aguesseau et leur substituer l'homme de Dubois et des Jésuites, le lieutenant de police Argenson, le destructeur de Port-Royal, cette révolution est traitée beaucoup trop légèrement et dans Saint-Simon et partout.
Elle est un retour net au règne de Louis XIV, dont les ordonnances cruelles sont de nouveau exécutées. En ce même mois de janvier 1718, qui change le ministère, le sang recommence à couler. Un ministre protestant, Étienne Arnaud, est exécuté à Alais. D'autres le seront tout à l'heure.
Où donc est le Régent, si doux de sa nature, trop-bon pour ses ennemis? le Régent qui naguère enlevait de la chaîne les protestants condamnés aux galères par le Parlement de Bordeaux?
Dubois lui avait arraché l'exil des évêques jansénistes qui faisaient appel contre Rome, sous prétexte du bien de la paix. Et ici, tout à coup, c'est la guerre qu'on reprend.
On recommence gratuitement les agitations du Midi; on lâche le clergé, le peuple du clergé. Le protestant malade entend sous ses fenêtres la foule qui réclame son corps par ce cri sauvage: «À la claie!»
Que fait le Régent cette année? Il publie Daphnis et Chloé , ses gravures, signées Philippus .
Que fait-il? Il fait sa fille reine de France. Il ne la contient plus. Il la laisse marcher sur sa mère, éclipser, effacer le Roi.
Sa tête était visiblement hors des affaires publiques. Il ne savait lui-même comment expliquer, colorer la révolution qu'on lui faisait faire. Faible, faux par faiblesse, il disait craindre que le parti de Rome n'appelât le roi d'Espagne. Saint-Simon lui ferma la bouche par ce mot sans réplique: «Que nulle concession ne changerait ce parti: qu'il serait toujours espagnol.» Et tous deux rougirent d'insister, de toucher le bas-fond réel, honteux qui était sous cela.
Dira-t-on que ce fond, c'est la seule influence du vieux coquin Dubois qu'il connaissait si bien? ou bien que c'est le rêve d'or que Dubois lui donnait en appuyant le Système naissant? Ces deux choses pesèrent, mais il y en eut une troisième certainement. On va le voir par les actes de cette année. C'est la dernière où vécut sa fille, la duchesse de Berry. Elle avait près d'elle un Jésuite. Elle avait pris un appartement aux Carmélites. On la poussait au mariage, à la conversion.Par elle, sans nul doute, on travaillait son père. Et que pouvait-elle alors? Tout.
Le chroniqueur de Richelieu, Soulavie, un auteur léger, qui pourtant a su beaucoup de choses, en dit une bien grave, qu'il altère, défigure, mais qui mérite attention: un étrange traité entre le Régent et sa fille. S'il se fit, ce fut, sans nul doute, la veille de la réaction, à la fin de 1717 [NT-1] (ni avant, ni après).
Le Régent, dit sa mère, était un homme fort léger, qui n'eut guère de sérieuse passion. Au vrai, il n'en eut qu'une, déplorable: sa fille. Elle l'ensorcela dès l'enfance. Il n'aima qu'elle au fond et ce qu'il tenait d'elle. S'il garda si longtemps la
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