Histoire De France 1715-1723 Volume 17
plus tôt (juste en 1709). On l'a faite un peu grasse, comme elle était, à l'allemande, et non sans rapport à Madame, sa grand'mère, à qui elle ressemblait autant que la beauté peut ressembler à la laideur. Elle est drapée d'hermine et couronnée de lauriers. Elle rêve; ses beaux yeux sont fixés au ciel, dans le trop poignant souvenir de tant de maux soufferts. Mais elle a trouvé comme un port, un abri, un soutien, et, de fatigue, d'affection, elle se laisse aller tendrement sur les genoux de son bon protecteur. Au total, l'effet est très-grave. Le Régent est bien mûr, presque vieux, et elle bien jeune. Il est sombre, soucieux et tout à sa pensée.
Mais elle était indigne de jouer ce beau rôle. Elle n'avait pas la grande, la haute ambition. Son orgueil éclata en choses vaines, scandaleuses. Et, avec tout cet orgueil, elle n'avait d'amants que des sots; la première fois, son écuyer, sans figure ni mérite; puis son capitaine des gardes, Riom, un gros poupard. Le Régent aisément aurait dominé ce garçon assez bonasse, mais il était mené par sa première maîtresse, la Mouchy, confidente de la duchesse de Berry, et qui, lui voyant je ne sais quel accès de dévotion,poussait au mariage. Les Jésuites trouvaient leur compte à y aider.
Dès longtemps un petit Jésuite s'était glissé au Luxembourg. Il entra comme un rat par on ne sait quel trou de garde-robe. Il devint une espèce d'animal domestique à qui on jette des morceaux sous la table. On le trouva bon compagnon et il eut petite place aux soupers. Là il en entendait de dures. Mais rien de sale ne l'étonnait, aucun blasphème (à faire crouler le ciel). Il riait doucement et faisait rire; lui-même il excellait aux saillies libertines.
Tout échoit à qui sait attendre. Ce bouffon vit finement qu'elle avait des jours tristes, des ennuis, des langueurs. Il dit ou il fit dire qu'une grande princesse comme elle devrait avoir ce qu'avait eu Anne d'Autriche, un appartement royal dans un couvent, par exemple aux Carmélites de la rue Saint-Jacques, cette retraite illustre de madame de Longueville, de la Vallière et de tant d'autres dames. Il n'y avait pas loin du Luxembourg aux Carmélites. On l'y mena tout doucement. Ces dames étaient charmantes, caressantes et baisaient ses pieds. On lui en attacha, pour lui faire compagnie, deux, jolies, gracieuses, de très-noble famille, discrètes et qui s'avançaient peu.
Elles surent bien le faire à propos. La voyant éprise de Riom, elles entraient dans ses idées, mais pour la bonne fin , le mariage. Les exemples ne manquaient pas. Il se trouvait justement que Riom était neveu de Lauzun, que la grande Mademoiselle épousa secrètement. Et le feu roi lui-même n'avait-il pas épousé madame de Maintenon?
Elle prit feu à cette idée royale. Quel roman glorieux de braver tous les préjugés, le monde! et couronner l'amour! Riom vaut bien plus que Lauzun. Mais, fût-il le dernier des hommes, tant mieux! D'autant plus beau sera-t-il, plus hardi de l'approcher du trône!... Et c'était moins Riom encore que l'idée qu'elle aimait, l'absurde de la chose, le miracle, la lutte et la difficulté vaincue.
Son père ne l'embarrassait guère. C'était son nègre pour obéir en tout, ou plutôt sa nourrice pour adorer tout d'elle, jusqu'au plus rebutant. Elle lui avait fait avaler cette pilule amère de trouver là toujours Riom, amant en titre, officiel, quasi-maître de la maison. Il avait humblement tâché d'apaiser la jalousie de ce redoutable Riom et lui avait donné un beau régiment. Il ne s'attendait pas à cette ambition, cette folie d'un mariage, et d'un mariage public!
Quand la chose lui fut intimée, terrible fut son embarras. Il se trouva entre deux peurs: il eut peur de sa fille, mais non moins de sa mère. Il comptait fort avec Madame, et devant elle il était chapeau bas. Elle était étonnamment haute et de naissance et de vertu. Elle haïssait et méprisait ce temps, ne vivait qu'avec ses aïeux, de la fière pensée de sa race, de ses alliances royales, impériales. Elle ne bougeait guère de Saint-Cloud, solitaire sur les hauts sommets, mais comme la tempête qu'il ne faudrait pas provoquer. Orléans se souvenait avec frayeur de l'épouvantable colère où elle entra, lorsque son fils accepta la bâtarde de Louis XIV, du soufflet qu'il reçut de sa puissante main. Soufflet retentissant. Toute la grandegalerie de Versailles en trembla; on baissa le dos, comme à un éclat de la
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