Histoire De France 1724-1759 Volume 18
avait fait un grand mal et un petit bien.
Le petit bien fut la Lorraine remise aux bonnes mains de Stanislas, la Toscane mieux administrée, qui eut bientôt son Léopold. À Naples, le gouvernement incapable des Espagnols fut obligé de prier l'Italie d'administrer, de gouverner.
Le mal, et très-grand mal, est la dissolution de la Pologne, le salut de l'Autriche, qui reste autorisée à perpétuer à jamais l'étouffement des nations.
C'était un grand moment, celui qu'on a perdu. Moment unique, de si belle espérance. L'Empire n'était pas mort. La Bavière et la Saxe, le Palatinat protestaient. Dans les petits États, moins hardis, chez les populations honnêtes de la bonne Allemagne, subsistait l'étincelle du droit, de la patrie. L'Allemagne, la biche au bois dormant, avait assez dormi; elle se réveillait; sur la face de bête lui revenait la face humaine.
Ils redevenaient hommes aussi, ces peuples du Danube qui ont sauvé l'Europe, et qui, pour récompense, par la ruse autrichienne, sont tenus à l'état de loups, que de temps à autre elle lance, quand l'Anglaisla paye pour cela. Ces peuples allaient sortir de ce honteux enchantement.
Qui l'empêche? C'est l'Angleterre.
À ce moment, Voltaire disait à la légère dans ses Lettres anglaises (l. VIII, p. 149): «Qu'elle aime la liberté au point de la vouloir, de la défendre chez les autres même.»
Remarquable ignorance. L'Angleterre justement alors affermit l'esclavage des États autrichiens, livre les Polonais aux Allemands, aux Russes.
Laide contradiction. C'est dans la même année (1731) que l'Angleterre écoute la prédication de Weslay, se réforme, assombrit son austérité protestante,—et que, d'autre part, l'Autrichien finit sa dragonnade des protestants hongrois et des protestants de Saltzbourg. Voilà ce que l'Anglais protége en 1735! Qui dira qu'il est protestant?
Si l'Angleterre eût été protestante, elle eût cherché son point d'appui uniquement dans l'Allemagne du Rhin, du Nord, dans les deux États Scandinaves, unis, fortifiés. Avec sa très-étroite jalousie maritime, ses petites vues sur la Baltique, elle a toujours tenu en deux morceaux, c'est-à-dire annulé, brisé l'épée du Nord, qui l'aurait tant servie. Elle a plutôt soldé une épée catholique, gardé l'empire barbare où le papisme est un monstre de guerre.
Ici, de tout son poids l'Angleterre s'asseoit avec Fleury sur la lourde pierre catholique dont toute liberté est écrasée. L'effort de 1733, notre élan de réveil, comment avortent-ils? C'est le secret des deux Walpole. Ils régnaient dans Versailles. Ils régnaientdans nos ports, veillaient notre marine, la solitude de Brest et de Toulon.
Duguay-Trouin, un jour, se consumant à attendre Fleury, voit dans cette antichambre et la foule dorée un misérable à culotte percée, d'un visage dévasté et sombre. C'est l'homme qui fit trembler les mers, c'est le Nantais Cassart. Duguay alla à lui, le serra dans ses bras. Ses yeux n'étaient pas secs. Il pleurait sur la France, hélas! aussi sur lui. Il ne revint jamais d'être resté dans Brest enchaîné devant les Anglais. Il s'éteignit l'année suivante. [Retour à la Table des Matières]
CHAPITRE IX
VOLTAIRE—LE ROI NE FAIT POINT SES PÂQUES
1734-1739
Dans cette paix malsaine qu'avaient rétablie les Walpole, une chose devait les contrister; c'est ce qui avait apparu si fortement en 1733: La France était par elle-même.
Fort opposée à son gouvernement. Celui-ci avait renoncé à toute marine militaire. Mais la France faisait des vaisseaux. À Lorient, à Saint-Malo renaissait un commerce hardi qui demain se ferait corsaire.
Autre découverte fâcheuse. Quelque soin que Fleury prît pour faire une guerre ridicule, le Français apparut un dangereux soldat.
La presse a pris l'élan, ne retournera plus à l'état étouffé, muet, de 1728. Des livres forts éclatent de moment en moment.
L'histoire a commencé,—narrative dans le Charles XII (1731),—réfléchie, politique, dans la Grandeur et décadence des Romains (1734). Ébauche magistrale, qui, par ce temps de petitesses, montrant dans sa hauteur la colossale antiquité, fait rougir le présent.—Autre effet, et plus vif, quand les Lettres anglaises opposent à nos misères la grandeur britannique, l'empire que l'Angleterre a pris dans les affaires humaines.
Dans ce livre, Voltaire, trop favorable à l'Angleterre, n'en établit pas moins une grande vérité qu'avaient dite les Lettres
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