Histoire De France 1724-1759 Volume 18
voulant que l'amour, l'honneur, la gloire du Roi. Elle l'avait aimé de plus en plus, mais avait peu d'esprit, de la jalousie, l'ennuyait.
Il aimait beaucoup mieux la jeune femme de M. le Duc, comme on a vu. Seulement, pour la tirer de Chantilly, le premier point était de renvoyer Fleury, de donner au mari pour sa femme la royauté même. Il aurait fallu que le roi changeât sa vie, ses habitudes, immolât aux Condés non-seulement Fleury, mais les légitimés, le comte de Toulouse et l'aimable comtesse qui, si souvent, si bien, le recevait à Rambouillet.
Ainsi troublé, indécis, en 1737 et 1738, entre la reine et la Mailly, seul en réalité, il eut des échappées sauvages et de hasard, non sans danger pour sa santé. D'ennui, d'épuisement ou d'autre cause, il fut malade (février 1738), et juste au même mois où Fleury, très-malade aussi, semblait près de s'éteindre. La nuit du 20, celui-ci appela son vieux valet Barjac, et lui dit: «Je me meurs! (Luynes, II, 41).» Grande agitationdans Versailles. Que serait-ce si tout à la fois le ministre et le roi manquaient?
La reine serait-elle régente? Ses amies en parlaient. Sous elle eût gouverné un second Fleury, et tout prêt, Tencin, le fourbe, l'intrigant, dont l'œil dur et faux faisait peur. Le Roi y répugnait. Mais il avait pour lui toutes les saintes, et celles du cercle de la reine, et les dames de Noailles, la perle des Noailles surtout, madame de Toulouse.
Celle-ci, douce et fine, avisée, travaillait à la fois et pour l'Église, et pour son fils. Les Condés demandaient que ce fils, le jeune Penthièvre, à la mort de son père Toulouse, ne gardât pas le rang si élevé que l'amour du grand roi avait fait aux légitimés. Madame de Toulouse, même du vivant de son mari, serra le roi de près, lui donna de petits soupers (Luynes, II, 169), au grand étonnement de la cour. On savait à quel point le Roi, après boire, s'oubliait. M. de Toulouse mort, Madame, éplorée, inondée de larmes (très-sincères), en revoyant le Roi, se jeta dans ses bras, lui donnant le fils et la mère. Le Roi fut fort touché. Elle semblait un peu sa mère aussi, et il l'aimait d'enfance. Dans cet aimable Rambouillet, dans cette idylle austère d'un ménage accompli, elle le recevait, le caressait avec une grâce maternelle, le formait, l'amusait d'agréables propos, mondains, dévots, des histoires du grand règne et de la belle cour. Avec sa gravité souriante, une vertu si sûre, vingt-deux années de plus, elle pouvait s'avancer plus que d'autres, avertir l'enfant mal guidé de bien des choses délicates, l'ennoblir, l'épurer, lui dire ce que c'est que l'amour.
Une seule chose fait ombre; c'est que la faible mère, cherchant avant tout la faveur, laissait jouer son fils (du premier mariage) Épernon aux petits cabinets, si mal notés. Et, pour son fils Penthièvre, elle se hasarda elle-même. Elle avait un grand avantage, gardant dans son veuvage un appartement très-commode, où le Roi à toute heure descendait sans chapeau, par un escalier dérobé. M. de Toulouse avait eu (de sa mère Montespan) une clef pour entrer chez le Roi. Cette faveur subsisterait-elle? Madame de Toulouse y réussit adroitement. Comme le Roi s'amusait à tourner, elle lui fit tourner dans un bois qui lui venait de son mari, un étui pour mettre la clef. En lui rendant l'étui, le Roi donna l'inestimable passe-partout (17 mars 1738).
Ayant la clef et l'escalier, on arrivait au dernier cabinet où le roi écrivait, à la fameuse garde-robe où se trancha deux fois le destin de la monarchie. Intimité si grande que le Roi la refusa à sa fille Henriette, ne l'accorda jamais qu'à son Adélaïde. On pouvait, en effet, lui absent, voir tous ses papiers. On pouvait le surprendre à telle heure bien choisie, où la surprise est désirée.
Quoi qu'il en soit, madame de Toulouse, véritablement affligée, restait dans sa ligne de deuil, passant souvent deux heures à la chapelle au fond d'un confessionnal où elle lisait à la bougie. Son appartement même, avec la petite cour pavée de marbre blanc et noir, avait un air de cloître à l'espagnole. Tout cela imposait. Et si quelqu'un pensait, du moins on n'aurait pas jasé.
L'excuse au reste était le fils et l'extrême besoin qu'elle avait du Roi pour ce fils. On lui reprochait peu des amitiés utiles qu'il lui fallait subir. Les complaisantes invariables des plaisirs du Roi (la Charolais, d'Estrées), chez qui souvent il se grisait, se
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