Histoire De France 1724-1759 Volume 18
trouvèrent très-liées avec madame de Toulouse. D'Argenson, par deux fois, observe un peu cyniquement que celle-ci «qui a l'escalier dérobé,» peut se faire désirer par sa dévotion même. Elle était blanche et grasse (la Mailly maigre et noire), et, malgré les années, fort conservée par sa vertu. À cinquante ans, elle était belle, une très-agréable maman.
Entre mai et octobre, elle avait, mois par mois, et degré par degré, refait tous les honneurs, biens et dignités de son fils.
Au souper de Fontainebleau, ce jeune fils (nommé prince) servit le Roi à table. Elle-même servit au dessert, donna au Roi un verre et une assiette, et par là constata son rang.
Plusieurs crurent voir une Maintenon, mais celle-ci non sèche, au contraire, douce, aimable. L'âge n'aurait rien empêché. L'amour dévot, jésuite, avec ses vastes complaisances, eût fait plus que beauté, jeunesse.
Madame de Toulouse, unie avec la reine et Tencin, le parti des honnêtes gens, eût pu garder le Roi par l'attrait maternel, la saveur du demi-inceste, ce lien équivoque, que tous favorisaient, honoraient et voilaient. Cependant, elle-même se cacha peu en août, ayant laissé le Roi se faire chez elle à Rambouillet une chambre à coucher, puis certain cabinet,dont elle l'entretint longuement, tout bas, devant tous, à Versailles [33] .
Cela dut attrister madame de Mailly, qui vit qu'elle ennuyait, et que le roi peu à peu échappait. Elle chercha un amusement. Elle appela sa laide et spirituelle sœur, mademoiselle de Nesle, dont la figure la rassurait. Cette grande fille, lâchée du couvent, avec une vive gaieté, remplit le maussade Versailles de sa jeunesse et de ses badinages, hardis, mordants, qui n'épargnaient personne. Elle étonna le roi en se moquant de lui. Et il y prit plaisir. Il ne pouvait plus s'en passer. Dès le 22 décembre, il voulait qu'elle soupât avec sa sœur aux petits cabinets (Luynes, II, 295). On eut peine à parer ce coup.
Cette rieuse était fort redoutable. Elle lançait d'ineffaçables traits. Dans le pays de cour, si sot, où on craint tant les ridicules, on avait peur. On remarqua le plat de la situation. Un ministre en enfance, une maîtresse usée, Toulouse la maman complaisante de l'escalier furtif, tout était misérable, ennuyeux, excédant. Il était trop facile de faire honte au jeune roi de sa patience. La Nesle était impitoyable, et le plus dangereux c'est que, sous ses plaisanteries, sous ce rire moqueur, il y avait une force réelle.
Le roi était timide, il baissait la tête et riait. Ceux qui voyaient de près les choses, Bachelier, le valet intime, suivirent le vent, tournèrent. La première girouettede France, Maurepas, tourna non moins vite. Il crut Fleury fini et Chauvelin possible. Il avait vaillamment aidé à la noyade de celui-ci, profité de sa chute. Ministre de Paris, et en même temps de la Marine, il se trouva de plus comme un secrétaire de Fleury pour toutes les Affaires étrangères. Plus encore, son alter ego contre le parti Chauvelin, jansénistes et libres penseurs. En 1736, il accabla Voltaire pour les Lettres anglaises . En janvier 1739, il est changé; il écrit à Cirey, il courtise Voltaire et l'assure de son amitié (Lettres de madame du Chât., 135).
De graves circonstances arrivaient, la guerre presque certaine, donc Chauvelin, le seul capable de la soutenir. Elle éclatait déjà entre l'Espagne et l'Angleterre. La mort prochaine de l'Empereur allait la rendre européenne. Si Fleury restait là (c'est-à-dire l'impuissance et l'absence de gouvernement), un grand désastre était certain.
La Nesle ne perdit pas de temps. Aux premiers mois de 1739, sans faire de bruit, et sous le couvert de sa sœur la Mailly, elle prit Louis XV comme on pouvait le prendre. Elle n'était pas belle, mais plus blanche que la Mailly, plus jeune que madame de Toulouse. Elle ne coûtait rien, ne demandait rien, et n'exigeait nullement que le roi renonçât à rien. Il n'était pas moins assidu le jour chez la maman; le matin, comme à l'ordinaire, il allait quelques heures bâiller au lit de la Mailly.
Situation bizarre. Par moments, le roi la sentait. Ce lien triple, impur (deux sœurs et une mère) lui donnait des scrupules, pas assez pour le rompre, assezpour n'oser communier. Il y avait des exemples de la colère de Dieu, des gens qui, mettant l'hostie à la bouche, ayant avalé leur jugement, étaient tombés roides morts. Cela lui donnait à penser. Six
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