Histoire De France 1724-1759 Volume 18
vous auriez pris vingt mille hommeset gagné trois batailles.» Il dit qu'il ne demande que le rôle des anciens Suédois, dont l'épée fut toute française. Tout cela est sincère. La Prusse et la vraie France auraient eu le même intérêt.
La comédie des conquêtes de Flandre par le Roi s'était faite en mai. Entouré du corps du génie (alors le premier de l'Europe), armé des foudres de Vallière et d'une artillerie supérieure, le Roi fit sa rapide et brillante promenade par des villes fort peu défendues. Courtrai, Menin, Ypres, Furnes, sont pris en trois semaines. Tout ce qui arrêta Louis XIV est trop facile à Louis XV. Tout cède à son étoile . Cette étoile pourtant reste encore à Paris. Elle étale son deuil et pleure à l'Opéra. Elle s'établit chez Duverney, pour avoir les premières nouvelles. Elle pousse contre Maurepas qui l'a fait retenir ici les plus sinistres plaintes et des cris de vengeance. «Il faut nous en défaire,» dit-elle (lettre du 3 juin, ap. Goncourt). La reine condamnée à rester, obéit; mais la Tournelle perd patience. Elle part, sûre d'être pardonnée.
Une guerre plus sérieuse nous venait sur le Rhin. Coigny, son vieux gardien, l'avait fort mal gardé. L'Autrichien était dans l'Alsace et la Lorraine ouverte. Stanislas en danger s'enfuit de Lunéville. Pour le coup Frédéric croit que l'on va agir. Il écrit (12 juillet) au roi directement une lettre qu'on croirait d'un ami. «Il va prouver cette amitié, va partir le 13 août, et il sera le 30 à Prague. Il espère que le roi ne le laissera pas seul dans un pas aussi grave, qu'il fait en partie pour la France. Il faut frapper trois coups, en Bavière, Bohême et Hanovre, mettre Bellisle à la têtede nos armées, comme l'homme qui a la confiance de l'Allemagne. Il faudrait employer Maurice «ou quelqu'un de déterminé» pour l'expédition de Hanovre.—Et surtout cette fois agir à temps.—Mais plus de défensive; on a péri par là. L'offensive donnera le succès. Elle fut le secret de Condé, de Turenne, de Luxembourg, de Catinat, qui donnèrent tant de gloire aux armées de la France.»
Ces excellents conseils ne furent point écoutés. On donna à l'ardent Maurice le poste de l'immobilité, la garde de nos côtes. Bellisle fut retenu à Metz «pour préparer les vivres.» Deux vieillards, Noailles et Coigny, eurent le poste de l'action, la forte armée du Rhin, avec un grand renfort du Nord. Énorme supériorité sur l'Autrichien qu'on eût pu par des coups rapides accabler, enterrer en France, empêcher à jamais de rejoindre Marie-Thérèse. Les deux podagres furent chargés de cela; Noailles, lourd, gros comme un tonneau; Coigny, usé et indécis. Si l'ennemi fuyait, le suivrait-on, prendrait-on l'offensive? Notre armée d'Italie, en ce moment, en donnait bel exemple. Chevert (commandé par Conti), avec autant d'élan qu'il fut ferme dans Prague, avait vaincu les Alpes à leurs pas les plus rudes, forcé (contre le roi de Sardaigne en personne) les gorges âpres de la Stura, les batteries, barrières et barricades d'un nid d'aigle, Château-Dauphin (18-19 juillet 1744). L'armée du Rhin a moins d'ambition. Son offensive en Allemagne sera sur notre frontière même, le siège de Fribourg, à deux pas. Opération certaine que le Génie fera en tant de jours devant le roi, qui seul aura l'honneur de la campagne.
Le roi de France apprit l'invasion à Dunkerque où il se délassait près des deux sœurs. Celles-ci, amenées à l'armée dans un royal cortége de dames, de princesses du sang, y trouvèrent un accueil de risées si cruel qu'elles rentrèrent en France, ne se rassurèrent qu'à Dunkerque. Les Suisses, dans leur jargon, d'abord firent de gros rires «sur les putains du roi.» Nos soldats rechantèrent les vieux refrains moqueurs sur Montespan et Maintenon. Les honnêtes Flamands voient avec horreur ces deux sœurs dont l'aînée donne au roi la cadette, cet accord dans l'inceste. La Tournelle, toujours guindée haut, toujours reine, eût ennuyé le Roi si ses goûts de bassesse, sa trivialité n'avaient eu leur détente avec la Lauraguais, sa sœur, petite, grosse, mal tournée, cynique, un avorton rieur, qu'il appelait la rue des mauvaises paroles , une laide avec qui on ne se gênait pas. Il alternait ainsi de la tragédie à la farce. Plus de réserve. Il a cassé les vitres. À chaque ville, on loge les deux sœurs à portée. Tout près aussi son confesseur, le bon Jésuite Pérusseau. Non que
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