Histoire De France 1724-1759 Volume 18
Ces gens-là les premiers durent voir où il fallait frapper. Le défaut de notre ordonnance dont Maurice fait l'aveu, c'est qu'entre Fontenoy, Barry, il y avait du vide, et nos lignes bâillaient. Franchir le ravin sous le feu, puis en courant passer à travers les boulets croisés de Barry et de Fontenoy, ce n'était pas chose impossible. Mais il n'y avait guère de retour, ayant le ravin derrière soi, peu de chance de le repasser. Il fallait avancer, dépasser les canons, les laisser derrière (inutiles). Alors on perçait notre armée, on la coupait en deux et l'on prenait le roi de France ainsi que le Prince Noir prit Jean.
Et cela se fit presque. Le ravin fut passé. Et l'on passa encore les deux colonnes sous la grêle. Cette grêle elle-même fit serrer les Anglais, les massa en une colonne. Nos canons dépassés derrière ne tiraient plus, et les petites pièces que traînait l'ennemi, de moment en moment, de la colonne ouverte, vomissaient le fer et le feu. Elle avançait et faisait quelques pas. Six heures durant, elle avança. Comment pendant six heures Maurice fit-il si peu pour réunir nos forces, comment nous laissa-t-il faire si longtemps des chargesinutiles, partielles, sur la masse qui nous foudroyait?... Beaucoup s'y obstinèrent. On dit que M. de Biron eut, sous lui, six chevaux tués.
L'homme de Maurice, d'Espagnac, est ridicule ici quand il veut nous faire croire que ce désastre était le comble de l'habileté, que, plus l'ennemi avançait, et mieux il était pris, que ce massacre inutile des nôtres avait mis justement les Anglais dans la souricière. Ce qui est sûr, c'est que Maurice, tremblant pour le roi, commençait à effectuer la retraite. Mais plusieurs ne voulaient pas se retirer. Nos Irlandais frémissaient de fureur.
Ce spectacle terrible, et rapproché du roi, le fit suer à grosses gouttes (dit le témoin valet de chambre, Rich. , VII, 143). Au moulin, il était en vue, des boulets arrivaient et le passaient parfois. Il descendit plus bas. Tous, autour de lui, fort émus. Les uns disaient que, si le roi mettait en sûreté sa tête sacrée, on pourrait disposer de ce gros corps qui le gardait. Que le roi prît part au combat, nul n'en avait même l'idée.
Le Dauphin seulement, avec son tact sûr pour déplaire, demandait à charger, à joindre la cavalerie. Cela le perdit pour toujours; Louis XV jamais ne l'emmena, ne l'envoya, ne l'employa à rien. Il crut, à tort sans doute, que les conseillers du Dauphin l'avaient poussé perfidement pour faire mieux ressortir l'inaction du Roi. Elle était remarquée et surprenait. Nos Français, avec leurs idées de roi vaillant à la François I er , comprenaient peu cette sagesse. Ils l'appelaient «Louis du moulin ( Frédéric ).»
Beaucoup regardaient de travers ce moulin qui paralysait les six mille hommes de la Maison du Roi, qui gardait ses canons, si nécessaires alors. En les faisant tirer, on avait chance encore. Cela crevait les yeux, et chacun le disait. On ne l'entendait que de reste. Mais le Roi ne l'entendait pas. Richelieu hasarda de dire «qu'il faudrait des canons.—Où les prendre? dit un courtisan.—Tout près. Je viens d'en voir.—Oui, mais le Maréchal défend que l'on y touche.—Le Roi peut l'ordonner.»
Là-dessus grand silence. Alors timidement (non sans effort, et d'un véritable courage), Richelieu, risquant sa fortune, demanda si Sa Majesté voudrait envoyer ces canons.
Le Roi parut troublé ( Rich. , 141). Il hésita, puis consentit, ne pouvant guère faire autrement. Ces canons, à l'instant traînés devant la masse anglaise, tirés à quelques pas, y firent une horrible trouée. Le Roi y lâcha sa Maison. Tous se lancèrent, même les pages. D'autre part, Maurice avait pu enfin faire parvenir aux corps isolés un ordre de charger d'ensemble. La colonne qui en six heures devait avoir perdu beaucoup, sous le canon tiré de près, n'était plus que de dix mille hommes, et sous la charge, elle fondit.
Fontenoy et la prise de tous les Pays-Bas, opérée heureusement par les manœuvres habiles de Maurice et de Lowendall, avançaient-ils la paix? Point du tout; au contraire. Les Anglais ulcérés poussèrent en furieux dans la guerre de subsides, gorgeant Marie-Thérèse, et les principicules nécessiteux de l'Allemagne, nous foudroyant de leurs guinées.—La grossereine des brigands du Danube riait, engraissée de ses pertes. Des subsides énormes de Londres, elle avait, de quoi faire son mari
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