Histoire De France 1724-1759 Volume 18
presque, voit tomber ses places une à une; on conduit en triomphe notre Infant Philippe à Milan. En Flandre, nous serrons Bruxelles. Tant de succès, par dessus Fontenoy, mettent le Roi plus haut qu'il ne le fut dans tout sonrègne. Ses censeurs de Versailles sont désorientés. La maîtresse, déclarée à Pâques, au mépris des saints jours, n'a pas porté malheur. En septembre, à Versailles, elle a son Fontenoy.
La ligue universelle de la cour, les lazzis, les chansons qui l'attaquent, les innombrables poissonnades , obligent la Poisson d'avoir un grand mérite. Elle a celui des convenances. Tout au rebours de la Tournelle, si insolente pour la reine, celle-ci devant elle humble et tendre, semble demander grâce, même avoir besoin d'être aimée. À sa présentation, sous les yeux de tant d'ennemis, elle fut et charmante et touchante. La reine lui sut gré de son trouble, la rassura, lui fit un accueil quasi-maternel. Elle jugea qu'après tout, si le Roi devait avoir une maîtresse, celle-ci était la meilleure. Cette faveur alla bien loin. Elle la fit dîner avec elle à Choisy.
Grand coup pour le Dauphin. Vraie lumière sur Versailles. La reine n'était pas en tout de la cabale. Ses lettres (à l'occasion de Fontenoy, Arg., éd. J., t. V, sub: fin .) montrent qu'en bien des choses elle était séparée du Dauphin. Elle le fut bientôt de ses filles, vouées passivement à leur frères, contre la Pompadour, lui enlevant le roi et blessant la reine elle-même.
Tant que nous n'avions pas le Journal de M. de Luynes , nous ne savions pas la part immense que les filles du Roi eurent dans sa vie. Et partant nous ne sentions pas combien la Pompadour fut utile pour faire équilibre à cette funeste influence. Nous aurions pu le deviner pourtant en voyant qu'aux premières années, les hommes de valeur, Argenson, Machault, Duverney,Quesnay, les Encyclopédistes, sont tous avec la Pompadour. C'est évidemment le parti de Voltaire et de Montesquieu. Dans le très-beau pastel que Latour a fait d'elle, déjà pâle et usée, elle se pare de ces beaux génies. Elle a sur son bureau, très-ostensiblement, l' Esprit des Lois , la Henriade , je crois même un volume de l' Encyclopédie .
Elle était médiocre et froide, mais dirigée par des têtes plus fortes (une Lorraine surtout, madame de Mirepoix). Elle sentit très-bien, dès la seconde année, qu'elle n'avait nulle chance de garder un amant satisfait, un homme secrètement dominé par ses filles, que par l'amusement, une vie d'art et de plaisir, tout opposée à la torpeur malsaine de ces influences secrètes. Son théâtre des cabinets groupa près d'elle un monde de courtisans, d'artistes, tous ravis d'approcher le maître. À la réalité, aux soupers, aux caresses qui servaient le parti dévot, elle opposa l'illusion et la fantaisie du théâtre, les séductions de l'esprit. Elle s'y mit, s'y usa sans réserve. Sa jolie voix et son talent d'actrice, cent sortes de costumes la renouvelaient tous les soirs. Sa douceur fade allait à l' Herminie du Tasse; sa simplicité (fausse) lui permettait pourtant de jouer les bergères, Églé et Galathée . De bonne heure, elle fait des rôles humbles de vieilles, et pour bien faire entendre qu'elle ne prétend qu'amitié pure, elle joue Uranie , dans une robe pailletée d'étoiles.
Quelque peu digne qu'elle en fût, il est sûr qu'elle fut (pendant près de dix ans, 1745-1755), avant la grande guerre, un centre pour les arts et les lettres. Elle fut bien moins une maîtresse qu'un ministère.Ceci explique un peu pourquoi elle eut besoin de tant d'argent. Elle ne put avoir, avec cette énorme dépense, le désintéressement de la Mailly, la Nesle. Des arts charmants naissaient, dans la décoration intérieure, dans l'ameublement. C'est un trait spécial, original du siècle. Ces dix ans en furent l'apogée. Le déclin commença après, vers 1760.
Par là elle avait prise sur le Roi pour qui l'intérieur était beaucoup, si ce n'est tout. La question était de savoir si, de l'art, il pouvait passer aux idées de progrès politique, social, aux nouveautés qui venaient rajeunir, sauver ce monde vieilli. C'était là le débat et le combat réel entre la Pompadour et la famille royale. Déjà assez adroitement on avait introduit Voltaire, comme victime de la cabale du Dauphin. La forte antipathie de Louis XV pour son fils lui fit même accepter les risées que Voltaire faisait tous les jours de Boyer. Celui-ci se plaignant
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