Histoire De France 1724-1759 Volume 18
même sur mer, la flotte anglaise en fuite. Cela tuait la résistance. L'impôt, légal ou illégal, fut très-exactement payé. Le Roi put à son aise fouler aux pieds le Parlement.
L'insolence monta au comble après Mahon. Dans un lit de justice, devant le Parlement, on enregistre, avec les impôts refusés, l'aggravation désespérante qu'on les payera encore dix ans après la paix . Autrementdit toujours (21 août 1756). Dans une tribune faite exprès, on voyait derrière une gaze madame Adélaïde (avec la reine et le Dauphin), à qui le Roi avait voulu faire voir son triomphe sur le Parlement.
Il est étrange à dire, mais vrai, que le seul défenseur de la liberté en ce monde était alors le roi de Prusse. Il défendait au moins et les droits de l'Empire, et le protestantisme, la liberté de conscience. Il avait jeté loin de lui ses misérables petitesses d'homme de lettres, fait réparation à Voltaire à sa façon, en musicien (il fit Mérope en opéra), et il lui envoya sa sœur qui le caressa, le combla. Dans le péril immense qu'il voyait tout autour, cet homme singulier montra la joie des forts, une bonne humeur héroïque. Le jour même où Versailles était bouffi de sa victoire ridicule sur le Parlement, Frédéric est en Saxe, il y joue avec cent mille hommes une amusante pièce, où sur le dos d'Auguste, le père de la Dauphine, il donne aux nôtres mêmes une volée de coups de bâton.
Une ligue générale des femmes existait contre lui. Avec Marie-Thérèse, Élisabeth, la Pompadour, était unie étroitement la femme du Saxon Auguste, la mère de la Dauphine. Cette furie, laide autant que haineuse, était une Autrichienne, haïssait Frédéric à mort, et lui cherchait partout des ennemis. Il le savait. Il avait acheté d'un commis saxon le traité dans lequel la Saxe, l'Autriche, la Russie, se partageraient la Prusse ( Hertzberg , Dover ). Il le prévint. En Saxe, le peuple était pour lui, et comme protestant, et par reconnaissance, pour les blés qu'il avaitdonnés dans la famine. Le 29 août, il demanda à Auguste seulement le passage. Refusé, il passe et prend Dresde (en dépôt, disait-il). Il bat les Autrichiens qui arrivent au secours. Il pourrait prendre Auguste, ne daigne. Il le nourrit. Chaque jour un chariot va au camp de Pirna pour la table du roi. L'armée saxonne, obligée de se rendre, entre dans l'armée prussienne. Au misérable Auguste qui n'a plus que deux hommes, Frédéric galamment renvoie les étendards, lui écrit en ami ses vœux pour son heureux voyage. «Mais rendez-moi mes gardes, dit Auguste.—Je ne veux pas avoir bientôt à les reprendre.—Du moins un passe-port.» Frédéric le lui donne, et lui offre des chevaux de poste.
La reine était restée dans Dresde, comblée d'égards par Frédéric et enrageant. Elle craignait surtout qu'il n'y prît les pièces honteuses qui constataient leur perfidie. Elle lutta, s'assit sur le coffre où elles étaient. Il fallut bien la faire lever de force, prendre dessous l'ordure diplomatique que Frédéric fit connaître partout. Elle creva de colère impuissante. Cependant Frédéric de son mieux tondait les Saxons, du reste affable à tous, exact au prêche, bon protestant, tenant cour et donnant des fêtes. Le plus original, c'est que, dans cet hiver où tout le monde s'armait contre lui, il régalait Dresde de concerts, y figurait lui-même, nouvel Orphée, apprivoisant la Saxe, non pas avec la lyre, mais la flûte, sur laquelle il avait un joli talent.
Notre Dauphine, une Allemande grasse, féconde, vraie femme de la maison de Saxe, toute en chair, en nature, en sensibilité, eut un débordement effroyablede larmes, quand elle sut l'aventure de sa mère, assise sur ce coffre, le défendant en vain, touchée de l'ennemi. Outrage incroyable, inouï, aux Majestés royales! Tous les rois de l'Europe devaient prendre parti, combien plus la maison de France, insultée en l'aïeule de ce gros nourrisson (qui régnera, c'est Louis XVI). Le Roi y fut sensible et se sentit blessé. Après le succès de Minorque, en plein triomphe, recevoir un tel coup! Notre guerre avec l'Angleterre fut en quelque sorte oubliée. On ne songea plus qu'à la Prusse. Ce n'est plus 24,000 hommes qu'on donnera contre elle, mais 45,000, cent mille! On décida deux choses dans cette ivresse de colère, la guerre continentale, et le renversement de l'obstacle intérieur qui l'entravait, le Parlement.
Victoire définitive et de l'Autriche et du
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