Histoire De France 1724-1759 Volume 18
faut unerévolution, comme celle qui se fit il y a cent cinquante ans.»
«Seulement plus radicale, avec la totale extinction de la maison de Bourbon.» ( Procès de Damiens , p. 82, 83, 84, 98, 106, 110, 113, 176.)
Cela se dit jusque dans les couvents. Les jansénistes (depuis l'inceste des quatre Nesle, celui des deux Murphy, surtout depuis le 27 décembre) croyaient voir sur Versailles tomber le feu du ciel. Dans la communauté janséniste de Saint-Joseph, l'avant-veille des Rois 1757, une enfant de douze ans, sans doute répétant ce qu'on disait entre religieuses, dit aussi: «Il sera tué.»
Par qui? C'était la question.
Quand le Roi s'entendit avec les hauts chefs du Clergé pour amuser le Parlement, le bas clergé, qui n'était pas dans le secret, s'irrita fort, cria. On eut peur à Versailles de voir un Jacques Clément; on ne laissait entrer aucun abbé.
Mais qui finalement fut vainqueur? le Clergé. Qui garda ses biens? le Clergé. Qui fut ruiné? le Parlement. Là étaient les désespérés, les meurtriers probables, les parlementaires ou leurs gens. Ce fut un de leurs gens qui frappa Louis XV.
L'histoire des domestiques est une grande affaire en ce siècle.
Entre les classes, la plus dangereuse, à coup sûr, c'était celle-là. On n'avait oublié rien pour les ravaler et les intimider. En vain. On ne put pas arrêter leur essor. On disait plaisamment des laquais: «C'est un corps de noblesse préparé pour suppléer l'autre.» DeCrozat, laquais-roi de la Louisiane, le siècle, par Jean-Jacques, va droit à Figaro.
Ils ont vu et appris. Ils ont vu au Système monter, descendre les fortunes. Ils se sont vus eux-mêmes, du comptoir, du ruisseau de la rue Quincampoix, sauter d'un bond aux Fermes générales. Des hasards de bassesse souvent les élevaient. L'un naquit d'un soufflet, l'autre d'un coup de pied. Ce coup bien appliqué vous lance un petit domestique de Colbert le prélat au grand Colbert, qui le fera commis, caissier, traitant, fermier, millionnaire.
Nul milieu dans leur sort: ou comblés, ou brisés, favoris ou souffre-douleurs (on en voit quelque chose dans Rousseau et la Delaunay). Leur sort, au XVIII e siècle, s'est aggravé sous un rapport. On ne les veut plus mariés (voir Melon ). Ce siècle, si sociable, devient pour eux l'état sauvage. D'ennui, d'oisiveté, plusieurs deviendront fous. Dans le petit trou noir où couche la femme de chambre ( Staal ), d'où elle entend et voit l'excès des libertés, on peut croire que la servitude fut bien sentie, que fut rêvé, couvé bien souvent le Discours sur l'inégalité , les mots que Pascal et Rousseau lancent contre la propriété. Cela se traduisait par le vol domestique, leur maladie commune.
Guerre à l'autorité, c'est toute la pensée des laquais. Portant l'épée comme les gentilshommes, ils ont leurs rixes, se battent en attendant aux portes des théâtres. Rien de plus mobile que ce peuple. Sous la Régence, ils se plaignent de ce qu'on les exclut de la milice. Sous Fleury, ils se plaignent de ce qu'on veut qu'ils en soient (1742), et ils parviennent à se faire exempter.On se moque de leur épée; et d'autant plus, ils aiment à dégainer. En 1750, aux razzias d'enfants, ils tirèrent l'épée pour le peuple. On put prévoir qu'un jour ils tireraient aussi le poignard.
Celui qui le tira, Damiens, était d'Arras. Cette frontière wallone et picarde n'est point du tout flamande. Au contraire. Les Wallons sont plus midi que le midi. Ils donnaient à l'Espagne ses plus impétueux soldats. Ils donnèrent à la France de chaleureux artistes (les Watteau, les Valmore, les Foy, les Camille Desmoulins). Ils ont donné, par contre, des têtes souvent étroites et dures, fortes, âprement systématiques, les Calvin et les Robespierre. L'Artois spécialement est marqué dans ce sens. Outre un grand mélange espagnol, les séminaires d'Irlande y ont laissé leur trace, la grande machine régicide, terrible au temps d'Élisabeth. C'est la garde avancée des jésuites contre l'Angleterre. Là fut aiguisé le poignard des amis de Marie Stuart, là plus d'un siècle travaillèrent les écoles de l'assassinat.
À côté des jésuites, chez ce peuple dévot, ne manquaient pas les jansénistes. Le frère aîné de Damiens, pauvre ouvrier en laine, honnête, homme de bien, était un fervent janséniste, n'ayant pour meubles que des livres , livres de piété. Damiens lui-même fut longtemps très-dévot, entendant tous les jours la messe.
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