Histoire De France 1758-1789, Volume 19
et n'attendaient qu'un signal. Mais au dedans, on s'arrangeait pour énerver le mouvement. Pendant la nuit, les consuls formèrent la garde bourgeoise des honorables marchands qui le matin se saisit du corps de garde, des portes. Le peuple avait nommé une commission pour s'entendre avecles consuls. Le procureur syndic de cette commission était un cordonnier, lui-même de la garde bourgeoise, de cette garde précisément que l'on opposait au peuple (V. Berthelon). Cette opposition se marqua surtout en ce que le peuple, entendant dire qu'on faisait venir contre lui l'artillerie de Valence, assiégeait les dépôts d'armes, voulait prendre les fusils. Les bourgeois s'y opposaient. Le peu de fusils qu'on eût manquaient de certaine pièce et ne pouvaient servir à rien. De là une juste inquiétude. Les femmes, plus d'une fois, sonnèrent le tocsin. Elles juraient de ne pas désarmer tant qu'elles n'auraient pas vu partir le régiment meurtrier.
Ainsi, du 9 au 14, marcha la réaction. On défendit bientôt aux bourgeois de monter la garde. Les deux régiments reprirent tous les postes. Clermont-Tonnerre établit des batteries sur les hauteurs qui pouvaient foudroyer la ville. Le Parlement se sauva (nuit du 13 juin). Le soldat haïssait le peuple au point que, sur le rempart, un ouvrier regardant la brèche du 7, la sentinelle lui tira un coup de fusil dont la balle heureusement ne fit que trouer son chapeau.
Le 14, deux nouvelles (récit du religieux) émurent fortement Grenoble. Le foudroyant mémoire de Rennes fut connu, la fermeté menaçante des Bretons, l'accord des nobles, du peuple, des étudiants. On apprit en même temps qu'à Besançon un régiment suisse avait refusé de tirer, aimait mieux s'en aller en Suisse. La noblesse de Grenoble et celle des environs s'assembla (le 14 juin), et les consuls, indignés d'avoir été pris pour dupes et de voir déjà renvoyés sans façonleur garde bourgeoise, vinrent siéger avec ces nobles. Les menaces et les défenses de l'autorité militaire n'y firent rien. On fit vaillamment la démarche décisive, non-seulement de demander le rétablissement des États, mais réellement de les faire , de les créer, les convoquer, en invitant toutes les villes et bourgs à nommer des députés pris dans les trois ordres, qui se réuniront à «jour convenu.» Voilà ce qui fut écrit ( Bibl. de Grenoble .) Mais on convint verbalement de se réunir à Vizille, ancien château du Dauphin, que possédait M. Périer, dont il avait fait une usine, et qu'il offrit courageusement.
La cour se montra fort double. Elle écrivit des choses douces sur l'amour du Roi pour le peuple. «Jamais il ne fut plus loin d'exiger de nouveaux impôts.» (Impr. bibl. de Grenoble.) Avis paterne que l'évêque de Grenoble répandit par les curés. En même temps, on fait filer une armée en Dauphiné, sous l'homme le plus sévère de France, le vieux maréchal de Vaux, durci par cinquante ans de guerre (en Corse, Amérique, partout). On lui donne des Suisses et des Corses et beaucoup d'artillerie. Le bailliage est établi à Valence, et on va le faire à Grenoble à main armée. Deux des consuls de Grenoble iront répondre à Versailles, y resteront comme otages. Le maire de Romans, enlevé, est prisonnier en Languedoc.
Tout cela était assez vigoureux, bien combiné. Mais rien ne pouvait servir dans un si grand mouvement. Une unanimité immense, formidable, se déclare. Toutes les femmes prennent la ceinture aurore et bleue du Dauphiné, les hommes la cocarde au chapeau. Onarrache des murailles l'arrêt contre les consuls. De tous côtés grandes nouvelles: la France est pour le Dauphiné . Les petits États de Béarn fraternisent avec lui. Des gentilshommes de Lyon, de Toulouse, de Provence, adhèrent à ses résolutions et veulent agir de concert. La Guyenne va les imiter. Les mêmes résistances éclatent juste aux deux bouts du royaume, à Pau, à Amiens, Arras. À Pau, on dresse une potence pour pendre le commandant. À Arras, le bailliage est chassé à coups de bâton, tout brisé et saccagé. Le Parlement de Rouen continue de s'assembler, met le ministère en accusation.
Tout s'arrête, et plus d'affaires. Lyon halète, Paris s'irrite par le retard des payements. L'Hôtel de Ville a renvoyé en août ses payements de mai.
Je copie tout ce qui précède d'un petit journal manuscrit de 8 pages qui donne très-bien le mois de juillet, à Grenoble, les nouvelles qu'on y recevait. Il ajoute, au 3
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