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Histoire De France 1758-1789, Volume 19

Histoire De France 1758-1789, Volume 19

Titel: Histoire De France 1758-1789, Volume 19 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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on trouve M. de Clermont-Tonnerre avec quelques officiers.
    Il faut ignorer tout à fait la nature humaine et ce que c'est que la foule, pour croire (avec M. Taulier) qu'on ménageât le commandant. Il fut dans un danger réel. On lui reprocha violemment l'effusion du sang du peuple. Plusieurs voulaient qu'il livrât celui qui avait fait tirer. D'autres que lui même expiât: un charpentier tint une hache levée sur sa tête. Un avocat la détourna. On a voulu douter du fait, mais le charpentier en fit gloire, ne se cacha pas, resta huit jours encore à Grenoble, et n'en partit qu'en recevant l'argent d'une souscription faite pour lui (Berthelon).
    Dans ce danger du commandant, les consuls de la ville étaient venus à son secours. Eux-mêmes ils furent en danger. On leur arracha de la tête leurs chaperons municipaux. La foule cassait, brisait. Elle jeta par les fenêtres l'argenterie du commandant (qu'on porta chez le président). Elle ne prit rien dans l'hôtel que le dîner qui était prêt, à point, et qu'on avala, plus du vin bu dans les caves. Un seul lieu fut respecté, un cabinet d'histoire naturelle que possédait ce grand seigneur. On n'y prit qu'un aigle empaillé qu'on voulait faire figurer dans le solennel triomphe qu'on préparait au Parlement.
    Le commandant sous leur dictée écrivit au Président qu'il l'invitait à assembler le Parlement au plus tôt. Il livra les clefs du Palais. Mais une femme ne voulait pas croire qu'il agît de bonne foi. Elle empoigna un inspecteur militaire qui était là, l'emmena pour qu'il témoignât avec elle que la lettre était sérieuse, venaitbien du commandant. Elle le menait «trique en main, comme un patient qu'on mène au gibet» (cinq heures de l'après-midi).
    Le Président eut beau louvoyer et refuser. On ne lui donna qu'une heure. Le peuple se chargea lui-même d'avertir les conseillers. En attendant, il faisait l'ouverture du Parlement. Le Président n'eût osé. On lui prit un de ses gens, qu'on habilla superbement d'une riche robe de chambre; on lui mit les clefs en main, et afin qu'il fût mieux vu, un homme à califourchon l'enleva sur ses épaules. Derrière, on lui portait la queue. Ce majestueux personnage, que nul ne connaissait, représenta d'autant mieux le grand anonyme, le Peuple, faisant ses affaires lui-même, rouvrant son Palais de justice, fermé par la royauté.
    Les membres du Parlement se cachaient, mais on en trouva suffisamment pour le cortége qu'on fit au Président, de son hôtel au palais. Ces messieurs, dans leurs robes rouges, étaient galamment conduits par les dames portant leur trique , de l'autre main des branches vertes. Le tocsin ne sonnait plus, mais les cloches, à volée, joyeuses et toutes en branle. «Les clochers jusqu'au sommet étaient remplis de femmes bondissantes comme des chèvres.» C'était six heures du soir (en juin). Partout des rameaux, des roses. Le carrosse du Président, traîné lestement par des hommes (et plus vite que par des chevaux), avançait couvert de fleurs, royalement couronné de l'aigle prisonnier du peuple, la seule et noble dépouille qu'il emporta de sa victoire. Une fraîche couronne de roses (assez ridiculement) avait été préparée pour la vieille tête chenuedu premier président. Il tremblait de se compromettre, la repoussa. Mais on la portait devant lui. Un énorme feu de joie était dressé sur la place, le Palais enguirlandé de banderoles ou drapeaux. «Enfin des cris incroyables, une telle fête (dit le bonhomme) que jamais les fastes de Rome n'ont fourni de pareils exemples.»
    Le Président, effrayé de son succès, trouva moyen d'écrire à l'instant en cour que tout se faisait malgré lui. Le Commandant écrivit aussi. Mais on saisit sa lettre, et on ne la laissa passer que quand le Président l'eut lue à la foule et bien montré qu'elle ne contenait aucun mal. La séance ne dura qu'une heure, et le peuple, fort modéré, ne demanda rien que le départ du régiment qui avait versé le sang. Le Parlement, heureux de voir finir son triomphe, fut solennellement reconduit. Mais défense aux magistrats de sortir de la ville; défense aux portes de les laisser passer.
    Situation assez triste pour le peuple, forcé de garder presque à vue ses chefs qui voulaient s'échapper. Les femmes étaient inquiètes. Elles veillèrent en armes, et seules voulurent monter la garde au palais du Parlement.
    Une chose était pour Grenoble, c'est que tous les environs étaient armés pour elle

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