Histoire De France 1758-1789, Volume 19
eurent contre tous les philosophes, en voyant l'affaire Calas, et madame Calas à Paris, dut avoir grande influence sur leur condamnation d' Émile . Ce fut justement le 8 juin qu'ils lancèrent arrêt contre lui. Dans la nuit du 8 au 9, Rousseau s'enfuit, sortit de France.
Voltaire avait voulu à tout prix que la veuve fût à Paris. Elle hésitait, avait peur. Ses deux filles étaient au couvent, et l'on pouvait les maltraiter. Mais on lui dit que c'était son devoir d'aller. Elle alla.
Il était temps. Déjà ceux de Toulouse demandaient à Saint-Florentin son arrestation. Dès qu'elle était à Paris, cela devenait impossible. Tous l'entourent, tous sont pour elle. Cette dame intéressante et si noble dans son deuil... quoi! c'est là une marchande?quoi! c'est une protestante!... Que de préjugés effacés!
Saint-Florentin, lâchement, devant cet effet public, fait son compliment à Voltaire, dit s'intéresser aux Calas. On eût voulu seulement avoir le temps d'arranger contre Voltaire une machine, un petit baril de poudre qu'on aurait mis sous Ferney.
On avait lâché Fréron pour aboyer, occuper. Pendant ce temps, un journal peu lu, un journal français, traduit certain journal anglais qui donne une lettre de Voltaire. Voltaire qui, en ce moment, a tellement besoin du roi, dans cette lettre lance au roi les injures les plus étourdies. Quelle invention heureuse, naturelle et vraisemblable! Mais Choiseul l'en avertit. Il éclate, il rit de ces sots, marque au fer chaud les faussaires.
Cependant autre machine (exécrable) dans Toulouse. Le Parlement, pour excuser la sentence de Calas, veut faire un second Calas. «Oui, dit-il, les protestants égorgent leurs propres enfants. On va vous en donner la preuve.» (Oct. 1762.)
Deux années auparavant, l'évêque de Castres avait pris une enfant à la famille protestante des Sirven. Cette enfant est si doucement traitée par des religieuses auxquelles elle est confiée, qu'elle est folle, rendue aux parents. Elle se jeta dans un puits. Une petite amie a vu ses parents qui l'y jetaient. Témoin grave qui, plus tard, avoue avoir dit cela pour avoir des confitures. Le Parlement de Toulouse, sans autre témoin, sans preuves, condamne à mort les Sirven. Ces pauvres gens, en décembre, par les neiges des Cévennes, s'enfuient. Une de leurs filles accouche au milieudes glaces. Ils échappent cependant, un matin tombent à Ferney.
Nouvelle secousse d'horreur. Toute l'Europe fut émue, vint voir ces infortunés, les Calas et les Sirven. Voltaire nourrissait tout cela, les abritait, les présentait à la foule des grands seigneurs, des gens influents qui venaient. De l'Angleterre, de la Russie, on souscrit pour les Calas. La France seule tardera-t-elle à se déclarer? Le Grand Conseil est parvenu à arracher enfin les pièces au Parlement de Toulouse. Le 1 er mars 63, le bureau des cassations déclare la requête admissible. Le 7 mars, la cassation est prononcée. Et le 8, madame Calas est à Versailles.
Partout bien reçue. Les portes sont ouvertes à deux battants. Bon accueil du chancelier. Force caresses des Choiseul. Le dimanche où l'on est admis à voir dans la galerie le Roi qui va à la messe, elle est là avec ses filles. Grand spectacle. Ces trois simples femmes, avec leurs cornettes noires, leur deuil, c'est la Révolution.
Qu'en dit là-haut le grand Roi, au plafond de la galerie, qui dans sa main immobile, sur l'hérésie terrassée, balance les foudres de Lebrun? Les pauvres victimes, à Versailles, dans leur modestie muette, n'en sont pas moins la victoire de la Justice éternelle.
On supposa que cette vue serait trop pénible au Roi. Quelqu'un eut l'attention de glisser, de se laisser choir, pour que, détournant ses regards, il fût dispensé de voir mesdames Calas. Mais la Reine les fit venir, les reçut avec bonté.
Il fallut du temps encore. Ce ne fut que le 7 mars1765, trois ans, jour pour jour, après l'arrêt de Calas, qu'il fut déclaré innocent.
La cour fut très-maladroite. Elle défendit quelque temps l'estampe célèbre de la famille, et puis enfin la permit. Une petite gratification leur fut donnée pour les empêcher de poursuivre les juges pécuniairement.
Ce Parlement, chose curieuse, n'obéit pas, n'effaça pas de ses registres le jugement de Calas. Ce qui exprime à merveille l'orgueil sanguinaire de ce corps et la barbarie du temps, c'est qu'il fallut payer très-cher l'huissier qui faisait la signification au Parlement de
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