Histoire De France 1758-1789, Volume 19
Toulouse. L'huissier croyait risquer sa vie.
Voltaire ne fut pas d'avis qu'on poussât plus loin les choses. La victoire était énorme, la mieux gagnée qui fut jamais. Les protestants, dès ce jour, ont été sauvés. Ce que la ligue de l'Europe n'a pu, en trente ans de guerre, arracher de Louis XIV, Voltaire l'a fait sous Louis XV avec quelques mains de papier.
L'humanité, la tolérance, sont tout à coup choses à la mode. Choiseul fait jouer la pièce de l' Honnête criminel , de Fabre, délivré par lui. Le parti contraire à Choiseul, Richelieu et les Beauvau, par une noble concurrence, appuient aussi les protestants. Le chevaleresque Beauvau, gouverneur du Languedoc, introduit dans ces pays, en attendant la loi meilleure, un régime d'humanité.
Choiseul fut assez habile. Au moment où sa longue guerre et sa misérable paix imposent la honte et la ruine, il prend son appui à Ferney dans cette tardive victoire des idées justes et humaines. Qui l'aurait crû? il accepte ici un représentant des églises protestantes.Un savant, Court de Gébelin, réside à Paris dès lors, correspond avec les ministres, les magistrats, ambassadeurs, etc. Homme éminemment pacifique, d'érudition visionnaire, crédule, innocent, bien propre à montrer ce que les victimes ont gardé de douceur d'âme. [Retour à la Table des Matières]
CHAPITRE VIII.
L'EUROPE. — LA PAIX.
1763.
Pendant ce drame intérieur, des événements énormes avaient eu lieu en Europe, hors de toute prévoyance, des péripéties rapides qui allaient changer le monde. La Russie apparaissait sous une forme nouvelle, plus barbare et plus menteuse, sous un masque d'Occident.
J'ai vu dans la nature des monstres, les grosses araignées des tropiques, noires, aux longues pattes velues. J'ai vu des poulpes horribles avec leur gluante méduse, les suçoirs et les ventouses qu'ils tendent, agitent vers vous. Mais je n'ai rien vu de tel que l'odieux minotaure russe dont on a l'image à Ferney.
Tout le monde a vu les images si différentes et si fades, que l'on fit de Catherine, sous la couronne de lauriers, un douceâtre César femelle, courtisane en cheveux blancs, banale comme le coin de la rue, bonne fille, si bonne, si bonne, qu'elle attend le premier passant.Que de bonté on y lit! La tolérance en Pologne! la peine de mort abolie! un code philosophique établi chez les Calmouks! En recevant ces portraits, les crédules, Diderot, Voltaire, voyaient arriver l'âge d'or, et pleuraient à chaudes larmes.
Que dut devenir Voltaire quand, vers 1770, il reçut le vrai portrait! Œuvre médiocre, il est vrai, mais d'admirable conscience. Un peintre flamand, fidèle, ne peignant que ce qu'il voyait, n'osant mentir, embellir, d'une main pesante, exacte, a donné la réalité. Seulement il l'a grandie à la taille de cet empire, il en a fait un géant.
Elle a le regard si dur, si mornement inhumain, que le portrait de Frédéric qu'on voit dans la même chambre, avec ses yeux bleus terribles (comme d'un chien de faïence), à côté paraît très-doux.
Pour arriver à cet état étonnant d'endurcissement, il a fallu bien des choses. La vraie Catherine d'abord, une laborieuse Allemande, était bien loin de cela. La Catherine de trente-trois ans, qui fit étrangler Pierre III, était loin encore de cela. Il a fallu que vingt ans de plus elle entrât dans le mal, régnant avec les meurtriers (neuf ans avec les Orloff, quinze ans avec Potemkin). Il a fallu qu'avec eux elle entrât de plus en plus dans les assassinats en grand, les atroces perfidies, les égorgements en masse de Pologne et de Turquie. Ajoutez la brutalité flétrissante du torrent fangeux d'amours achetés que la vieille incessamment renouvelait.
Elle est terriblement parée. Son roide corset, ou plutôt sa cuirasse de pierreries, couvre-t-il un êtrehumain? rien ne le fait présumer. Mais on sent bien que cela , quoi qu'il soit, est impitoyable, qu'il y a là un élément et de sauvage exigence. Rouge et de tête carline, le corps épaissi de matière, énorme d'iniquités. Endurcie au plaisir brut, elle fait trembler pour la foule des misérables forcés de passer par cette épreuve, pour l'intrépide armée russe qui, tout entière, eut la chance de faire l'amour à ce monstre.
Est-elle bien Russe elle-même? oui et non. Elle n'a pas l'expansion généreuse d'un Pierre III, d'un Paul I er ; c'est une pesante Allemande russifiée, bœuf de travail, un scribe, type de ces Allemands qui écrasent
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